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Critique de Woland


ISBN : 978-2818020760

Si l'on excepte une brève période un peu essoufflée, lors du voyage du couple Karvanyi vers ses domaines ancestraux en Transylvanie, le roman de Menegoz est plutôt agréable à lire. D'abord - et tout le monde comprendra ce que je veux dire - il raconte une histoire qui n'a pas pour centre le nombril de son auteur même si, étant, je crois, d'origine souabe par sa mère, Menegoz a certainement puisé aux origines familiales pour produire ce pavé d'un peu moins sept cents pages.

"Karpathia" se lit à la fois comme un roman d'aventures et comme un roman historique. Ceux qui s'intéressent à L Histoire, tout particulièrement à celle du XIXème siècle en Europe de l'Est - l'action se situe en Hongrie, alors sous dépendance de l'Autriche des Habsbourgs - seront ravis. On trouve des descriptions superbes d'une région singulièrement sauvage mais tout aussi envoûtante et plus d'un Grand Lecteur songera sans doute, devant quelques noms qui reviennent, au légendaire séjour vers la Transylvanie imaginé jadis par Bram Stoker pour Jonathan Harker. On y parle même de la passe de Borgo ! Tout draculâtre sait ce que cela veut dire ... ;o)

Mais nous sommes ici en plein réalisme et en l'an de grâce 1833. Amoureux de la baronne Cara von Amprecht, le comte Korvany, qui a pourtant entamé une belle carrière dans l'armée autrichienne, abandonne celle-ci pour se marier et s'en aller gérer ses domaines ancestraux. Il faut dire que Cara le lui a bien dit : "Je n'épouserai jamais un soldat. La vie de garnison ? Merci mais ce n'est pas pour moi !" Un caractère entier, cette jeune fille, et un personnage qu'on admire souvent tout en ne pouvant s'empêcher de la juger parfois trop hautaine et peu aimable. Mais c'est à son époux que revient, indiscutablement, la palme de la bizarrerie caractérielle.

S'il est généreux et ignore la peur physique, s'il a aussi un sens certain du devoir, le comte Korvanyi est avant tout un être rigide, peut-être plus sensible qu'il ne veut bien le laisser paraître, mais prêt à tout - absolument à tout - pour que sa volonté s'accomplisse. Ainsi devient-il l'amant de Cara bien avant de la demander en mariage. Et peut-être n'aurait-il pas songé à le faire si, dans un café viennois, deux officiers d'un autre régiment que le sien n'avaient traité la jeune fille de femme facile - ou à peu près. du coup, Korvanyi jette le gant et n'aura de cesse de tuer son adversaire - ce qui lui permet au passage d'avoir un prétexte honorable pour quitter l'armée. Mais ce qui choque, c'est qu'il fait croire à ses témoins, à son adversaire et aux témoins de celui-ci, qu'il est déjà à l'époque le fiancé de la jeune baronne. Ce qui est totalement faux. le lecteur ne prend pas tout de suite conscience de l'importance revêtue par cette affaire dans le reste du récit mais, au fur et à mesure qu'il tourne les pages, il comprend que Korvanyi est prêt à tout pour obtenir ce qu'il veut.

Quand il arrive dans un domaine qui n'a pas vu ses maîtres depuis un demi-siècle - les derniers habitants du château ont été assassinés lors de la grande révolte des serfs valaques (= roumains) en 1784, Korvanyi se trouve confronté à une situation ethnique et sociale très complexe. Ainsi, les serfs saxons et les serfs magyars jouissent d'un meilleur traitement que les serfs valaques, ce qui, bien entendu, ne fait qu'entretenir la haine et l'instinct de révolte. de plus, le moins que l'on puisse dire, c'est que ces peuples ne sont pas très éduqués. Très vite, la haine inspirée par le comte en tant que descendant légitime des Korvanyi et possesseur des fiefs, va faire courir sur lui les histoires les plus absurdes. On finit même par l'accuser carrément d'être le vampire responsable de l'agression (en fait un viol) contre une jeune Magyare, Auranka.

Mais Korvanyi a de la ressource, c'est le moins qu'on puisse dire. Comprenant très vite que les Valaques lui resteront à jamais hostiles, n'entendant, en plein XIXème siècle, rien changer au statut de ses serfs, et surtout pas des serfs valaques, auxquels il porte une haine aussi vive que celle qu'ils lui vouent de leur côté, il se résout à redresser la situation. Et il choisit pour cela la manière forte, cela va sans dire.

Menegoz démontre très clairement la complexité, pour ne pas dire l'inextricable pagaille régnant sur un pays où l'injustice sociale est la règle et que, en dépit de la Révolution française, puis des guerres de l'Empire, n'a pas touché la gloire des Lumières. Pour le lecteur, il est très, très difficile de prendre parti. le couple Korvanyi, par exemple, en dépit de la puissance de caractère de ses protagonistes, est trop imbu de sa supériorité sociale et ethnique pour qu'on puisse sympathiser à cent pour cent avec lui quand, par exemple, la comtesse se retrouve enlevée par leurs ennemis. de l'autre côté, les Valaques, bien qu'ils aient leurs raisons pour le faire, manifestent une hostilité trop déclarée. Entre les Korvanyi et leurs serfs valaques, on dirait qu'aucun pardon, aucun compromis n'est - et ne sera jamais - possible. Les serfs saxons et magyars sont un peu à l'écart mais là aussi, on juge vite que le compte pourrait assouplir un peu ses règles. Quant au troisième parti, celui des "forestiers" - si vous lisez "Karpathia", vous comprendrez - il se partage entre un gourou et des illuminés persuadés qu'il faut faire revivre "l'esprit roumain" et de francs contrebandiers, tueurs et hommes de sac et de corde. le violeur d'Auranka est d'ailleurs l'un des membres de ce groupe.

Le malaise vient surtout de ce que, entre les grands seigneurs imbus de leur magyarité et les révoltés qui se veulent avant tout roumains parce que le Roumain est au-dessus de tout, les serfs valaques, coincés dans la nasse, sont exploités et manipulés aussi bien par les uns que par les autres. Si Korvanyi a, à la limite, l"'excuse" du massacre de sa famille par ces mêmes serfs ou leurs parents en 1784 pour vouloir pratiquement éradiquer les Valaques de ses terres, les forestiers, eux, qui se font passer auprès de ces mêmes Valaques pour leur seule chance de s'en sortir avec les honneurs, ne les considèrent pas avec plus d'estime et d'humanité que ne le fait Korvanyi : ainsi, lorsque, après l'incendie du château blanc et le massacre intégral des domestiques des Korvanyi, tous deux menés exclusivement par Vlad et sa bande de brigands, les serfs valaques, qui en sont absolument innocents, sont abandonnés par les contrebandiers à la colère du comte.

En pareil cas, qui se conduit de la manière la plus scandaleuse ? Et quel parti prendre pour le lecteur, vite horrifié par toute cette sauvagerie qui se veut pourtant européenne ?

"Karpathia" est un roman qui fait réfléchir. Un roman encore un peu maladroit aux entournures mais un roman qui mêle habilement la part historique et l'aventure pure. Malgré de belles envolées poétiques, le style apparaîtra un tantinet trop lourd mais enfin on ne saurait remercier suffisamment Mathias Menegoz pour sa décision d'entreprendre la rédaction d'une histoire qui lui tenait à coeur et qu'il a parfaitement réussie à mener à son terme en incitant sans trop de peine le lecteur à le suivre. C'est devenu si rare dans la littérature française de nos jours qu'il faut le signaler. ;o)
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