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Critique de Foxfire


C'est la critique de LePamplemousse qui m'a donnée envie de lire cette B.D que je me suis donc empressée d'emprunter. Cette B.D dont le thème est l'avortement est divisé en 2 parties, d'abord le témoignage très personnel et très autobiographique d'une jeune femme ayant avorté, puis le récit du parcours de Martin Winckler, médecin devenu écrivain qui a lui-même pratiqué des IVG. Si cette B.D n'est pas parfaite, elle est globalement réussie et a le mérite d'aborder un sujet difficile. Quand on pense IVG, on pense souvent avant tout "droit à l'IVG". Ce raisonnement est bien entendu justifié, ce droit qu'on pense trop vite acquis définitivement est souvent menacé, il est donc toujours nécessaire d'évoquer cet aspect. Mais il est toutefois dommage de ne voir que cet aspect. On a tendance à oublier le côté humain qu'il y a derrière le côté médico-juridique, et cet aspect on ne l'envisage véritablement que quand on est concernée. La B.D d'Aude Mermiliod permet donc d'évoquer cette dimension plus intime de l'avortement.

J'ai préféré la seconde partie à la première. La seconde partie qui raconte le parcours d'un médecin ayant pratiqué des IVG est vraiment intéressante et c'est un beau portrait d'homme. Il a le courage de se remettre en question, il ose dire qu'il n'a pas toujours eu la bonne attitude face aux patientes.
Le témoignage de la jeune femme a les qualités et les défauts de ce registre. Elle livre un ressenti forcément personnel qui ne sera pas partagé par toutes les femmes ayant vécu l'IVG. Chaque femme y ayant eu recours le vit différemment. Un tel témoignage ne peut pas être universel. Mais l'intérêt n'est pas là. Tout le mérite de ce témoignage est d'exister. Une femme a pu parler, a pu exprimer ce qu'elle a vécu intimement. Souvent, les femmes ayant avorté n'osent pas en parler. Et pourtant ça leur ferait du bien à celles qui l'ont vécu. A celles qui s'apprêtent à le vivre aussi. le sujet reste assez tabou, il y a toujours ce voile de honte qui pèse sur les femmes. A travers cette B.D, Aude Mermiliod a le courage de dire sans honte, sans gêne, « j'ai avorté ». Cette libération de la parole me semble nécessaire.
Moi aussi j'ai avorté. Mon expérience a été très différente de celle vécue par Mermiliod. A aucun moment, je n'ai dû faire un deuil. Ce moment de la B.D où la jeune femme est agacée par ceux qui, voulant la rassurer, lui répètent que « ce n'est qu'un tas de cellules », « ce n'est pas une personne »… je ne l'ai pas vécu. C'était ce que je pensais moi-même. Peut-être parce que j'avais déjà 2 enfants, je ne me suis pas projetée dans un éventuel futur, je n'ai jamais pensé à ce qui aurait pu être. Je voyais cet amas de cellule comme un corps étranger dont je voulais me débarrasser au plus vite. Pour autant, je respecte cette tristesse ressentie par Mermiliod et plein d'autres femmes, elle mérite d'être entendue et écoutée.

La B.D ne montre pas suffisamment à mon goût le parcours difficile que représente une IVG. Il lui suffit d'un coup de fil pour avoir rendez-vous. Ce n'était pas l'aspect qui intéressait l'auteure, sa volonté était de s'attacher à l'intime. Mais, je trouve que les problèmes pratiques font partie du parcours intime de l'avortement. Tous ces appels téléphoniques, toutes ces étapes par lesquelles il faut passer sont source de stress et d'angoisse et sont donc partie intégrante de l'expérience intime. Et que dire du regard médical ! La jeune femme de la B.D a plutôt eu de la chance en tombant sur un corps médical humain et bienveillant. Je n'ai pas eu cette chance. Je ne me suis pas adressée à ma gynéco habituelle qui n'est pas à côté de chez moi, cela me semblait plus pratique. En plus la gynéco à laquelle je me suis adressée avait une convention relative à l'IVG avec l'hôpital du coin. Bref, le Dr D. m'accueille dans son cabinet d'un « bonjour » glacial. Je lui explique pourquoi je suis là. Elle me demande alors d'un ton accusateur « mais vous n'avez pas de moyen de contraception ? ». Je lui réponds alors que mon mari et moi utilisons des préservatifs. Je vois alors se dessiner sur sa face une moue réprobatrice assortie d'un « mouais » qui veut tout dire. Elle ajoute qu'il va falloir penser à une contraception plus sérieuse. Sans me demander pourquoi j'ai choisi cette contraception ni se soucier de ce que moi je veux, elle me fait une ordonnance pour un stérilet. Enfin, elle me file le 1er cachet, c'est à une IVG médicamenteuse que j'ai eu recours, me dit quel jour je devrai prendre le second et me balance une feuille en me disant « tout est expliqué là-dessus ». Elle ne m'explique rien et je ne lui demande rien, je n'ai qu'une envie : partir au plus vite, m'éloigner de son regard empli de reproches qui semble dire « tu as foiré, c'est de ta faute ». Elle ne m'a même pas prescrit d'antalgiques… N'allez pas croire qu'une IVG médicamenteuse est plus confortable qu'une IVG chirurgicale. Il y a la douleur, la fatigue et le manque de contrôle sur ce qui se passe… Une dizaine de jours après la prise du second cachet, alors que jusqu'ici j'avais des saignements importants mais normaux, j'ai eu des saignements très très importants. J'ai eu peur, j'ai cru que je faisais une hémorragie. Pendant 2 jours, je me vidais littéralement. J'ai donc appelé la Dr D. Je suis tombée sur la secrétaire, très gentille elle, je lui ai expliqué la situation en lui précisant que j'avais rendez-vous le lendemain pour la visite de contrôle mais que je me demandais s'il fallait que je m'inquiète de ce qui m'arrivait. Elle m'a mise en attente le temps de se renseigner auprès de Dr D. Cette dernière a dit « ça peut attendre demain ». le lendemain je me suis donc pointée au rendez-vous de contrôle. le Dr D. avait oublié qui j'étais, elle me demande « vous êtes là pour quoi ? ». Seulement 10 jours après m'avoir vue, et le lendemain de mon appel paniqué… Après lui avoir rafraîchi la mémoire, je lui parle des saignements hémorragiques qui sont survenus 10 jours après le médoc alors que les saignements les plus importants étaient censés, selon le feuillet explicatif, se produire 2 ou 3 jours après la prise du médoc. Elle me répond froidement « ça arrive » avant de me dire que je suis venue pour rien vu qu'elle ne peut pas procéder au contrôle puisque je saigne toujours. Elle me fixe un autre rendez-vous. Je n'y suis jamais allée. Mes saignements ont duré plus d'un mois, je suis restée avec mes questions, mes angoisses et le souvenir de son regard froid, accusateur et méprisant.

Je suis passée par toutes sortes d'émotions. La honte a été forte, à cause d'elle. Non pas parce que j'avortais mais parce que je me sentais coupable d'être tombée enceinte. J'avais failli, j'étais fautive. Ensuite, la honte et l'angoisse ont fait place à la colère. Je suis en colère d'avoir été traitée ainsi.
Ceux qui parlent d'avortement « de confort » ne savent rien. Ils feraient bien de lire la B.D d'Aude Mermiliod et d'écouter les témoignages des femmes qui ont avorté. Ils apprendraient bien des choses, et en premier lieu l'humanité.
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