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Critique de Nastasia-B


J'ai été, somme toute, assez déçue par ce roman de Léonora Miano. Ce n'est absolument pas le propos qui est en cause car j'aime qu'un ouvrage secoue son lecteur ou les convenances. Ce ne sont ni la violence, ni les messages sous-tendus qui m'ont dérangée. Ce n'est pas fait pour me déranger, bien au contraire.

Non, dans ce livre, ce sont les qualités proprement littéraires qui m'ont manqué : j'avais pu lire un peu partout que l'auteure se caractérisait par de grandes aptitudes de plume et, si l'on en croit la citation de ELLE en 4ème de couverture (bon il faudrait être naïve pour croire encore les 4èmes de couv, mais j'en connais qui les lisent malgré tout) : « un style à la fois sobre et brillant, simple et raffiné ». Ici, j'avoue être en profond désaccord avec les gens de chez ELLE.

Pour moi, et en harmonie totale avec Mario Vargas Llosa (Lettres à un jeune romancier), ce qui caractérise la fiction de qualité, c'est le fait qu'on y croie. Peu importe que le pays s'appelle dans le livre Mboasu et non Cameroun, peu importe que la ville où se déroule la fiction se nomme Sombé et non Douala comme c'est le cas dans la réalité. Ce n'est pas là le problème, je pense même qu'elle a bien fait de bâtir des endroits imaginaires et de prendre quelques libertés avec la réalité factuelle. Cela permet de se concentrer sur un ou plusieurs aspects particuliers que souhaite exposer l'auteure sans avoir à traîner le restant du fardeau du réel et qui ne ferait pas sens ou qui interférerait de façon non opportune.

Non, le problème selon moi se situe au niveau de la crédibilité des personnages et des situations. Qu'une petite fille de 9 ans puis 12 ans soit la narratrice, aucun problème ; qu'elle soit particulièrement mature pour son âge, aucun problème. En revanche, qu'après trois ans de séquestration et de déscolarisation (entre 9 et 12 ans) période pendant laquelle elle est restée enfermée dans un espace réduit, où elle n'a pour ainsi dire pas décroché un mot et où on ne lui a pratiquement pas adressé la parole sauf pour des besoins élémentaires, que cette petite fille, donc, en assemblée, parmi des discoureurs professionnels soit capable de leur river le bec à coup de répartie et de s'exprimer en ces termes : « Monsieur Colonne, pouvez-vous me dire quand exactement les Africains ont abandonné le culte de leurs ancêtres et les offrandes faites aux esprits ? Il me semble qu'ils ont toujours pratiqué le mélange de la foi chrétienne et de leurs religions ancestrales. En quoi votre méthode diffère-t-elle de ces habitudes ? […] Vous savez comme moi que les enfants qui sont une force de travail à la campagne deviennent vite une charge à la ville… »

Là, excusez-moi, Madame Miano, mais je tique un peu. Il s'avère que je côtoie un peu les enfants de cet âge et pour le coup, en ce qui concerne la crédibilité, vous repasserez. Alors on peut arguer que le problème vient du fait que l'auteure n'a pas su appliquer dans la bouche d'une enfant le langage approprié. Alors examinons encore, si vous le voulez bien, le discours de Kwin, une sorte de " super-héroïne " au sens moral irréprochable, accessoirement marchande de bananes plantain sur l'un des marchés crapouilleux (néologisme que je revendique entre crapuleux et pouilleux) de Sombé en brandissant ac hoc une bible du fond de sa poche en plein pendant un attroupement autour d'un lynchage :

« Je ne crois pas ce que disent ces pages. Et comment le pourrais-je, sachant que ceux qui nous les ont apportées ont vite fait de s'en détourner ? Néanmoins, la manière dont vous gobez toutes ces fictions vétérotestamentaires, votre adhésion forcenée à cette prétendue Révélation qui ne promet que des horreurs, tout cela me sidère. C'est pourquoi je lis votre Livre. Peut-être finirai-je par y découvrir que vous êtes bien faits à l'image de ce Dieu qui a laissé mourir Son fils pour rien, puisque rien ici-bas ne semble irréfutablement sauvé depuis que Ieshoua fut couronné d'épines et crucifié… »

Eh oui ! On n'y croit pas et c'est bien là tout le problème. Quand bien même ce livre aurait mille qualités par ailleurs et ce seul défaut, c'est un défaut suffisamment lourd pour être rédhibitoire à mes yeux de lectrice exigeante sur le mentir vrai. J'aurais encore deux ou trois peccadilles à faire valoir à propos de ce style soi-disant raffiné et qui pour moi est parfois d'une maladresse et d'une poussivité désarmante, mais bon, autant m'arrêter là, mon but n'étant pas de dénigrer à plaisir.

Je préfère me focaliser à présent sur le sens et les messages qu'on peut capter de ce livre. Léonora Miano a manifestement voulu nous dire qu'un pays qui ne prend pas soin de ses enfants hypothèque une grande part de son avenir. Elle pense très probablement à son pays, le Cameroun, mais également à nombre d'autres pays africains qui laissent croupir la jeunesse dans un total dénuement matériel et culturel.

Elle attire aussi notre attention d'Européens sur une réalité souvent mal connue dans l'Afrique équatoriale : l'omniprésence et l'omnipotence des croyances et de la sorcellerie. (Je ne connais pas suffisamment la question pour étendre cette constatation à l'ensemble de l'Afrique subsaharienne mais je sais que c'est aussi le cas au Congo [Brazzaville].)

Il suffit juste que quelqu'un décrète que vous êtes une sorcière pour que vous vous retrouviez du jour au lendemain frappée d'ostracisme, rejetée de partout (famille comprise, le quelqu'un accusateur pouvant être un membre de la famille) et contrainte aux pires avilissements pour seulement espérer continuer à vivre, si tant est que vous y parveniez. C'est dur à imaginer vu d'Europe mais c'est pourtant une réalité toujours vivace et désespérante. Léonora Miano nous parle de cette réalité via sa protagoniste principale, Musango, petite fille de 9 ans abandonnée par sa maman au motif qu'une voyante a ressenti en elle les effluves de l'esprit malin.

L'auteure attire aussi notre attention sur des situations socio-économiques et sanitaires absolument révoltantes. Dans le livre, elle évoque une guerre bien que dans la réalité, au Cameroun, il s'agisse plus vraisemblablement d'une longue série d'émeutes et de serrages de vis du pouvoir de Yaoundé (la capitale politique à l'intérieur des terres) à l'encontre de Douala (grosse ville portuaire, capitale économique). Les raisons de ce quasi embargo interne sont évidemment politiques : Douala ayant massivement soutenu un opposant du régime en place et le résultat en est une pauvreté et un niveau de violence tout à fait comparable à celui qui résulterait d'une guerre civile.

La force du livre réside dans le fait qu'il est un appel à demeurer humain dans l'adversité, à l'heure où beaucoup ont perdu cette empathie élémentaire vis-à-vis de ceux qui souffrent et que beaucoup de charlatans essaient de surfer sur le créneau des croyances pour faire du business et continuer de plumer les maigres duvets de cette population exsangue.

Donc, un propos fort, des idées intéressantes mais un objet littéraire qui, selon moi et mes propres critères d'appréciation, est beaucoup trop carencé pour être plaisant. Bien entendu, aujourd'hui comme toujours, ce que j'exprime n'est que mon avis, absolument pas une vérité, et j'espère, pour les jours qui viennent, que vous le conserverez à l'esprit et que vous en ferez le contour au moyen de votre propre esprit critique.
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