AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Ingannmic


C'est un choeur de femmes, composé de quatre voix qui interpellent un homme, un absent : celles de sa mère, de sa future épouse, de son ex amante, et de sa soeur, enfin. Mais à travers les confidences, les explications, les réminiscences qu'elles expriment à son attention, ce sont surtout elles-mêmes qu'elles dévoilent, leurs faiblesses, les craintes qui les oppressent ou les paralysent, les désirs qui les portent et les fortifient, et surtout leurs espoirs...

Ces femmes ont grandi dans un monde de violence, héritières d'une histoire qui a annihilé la vision du monde portée par leur peuple. Elles ont subi les conséquences d'antagonismes dont elles ont presque toujours été les perdantes...
Antagonisme Nord-Sud, les triomphants nordistes, ces "leucodermes" comme l'une elles les désignent, ayant à coups de mépris, de fouets, de rééducation forcée, imposé leur culture, leur religion, leurs moeurs. Les femmes ont dû faire taire leurs voix, et dissimulé leurs corps, au nom de la rigide et puritaine morale judéo-chrétienne importée par l'occupant.
Antagonismes générationnels, nourris d'incompréhension et d'incommunication, les jeunes reniant les traditions, forts d'un mépris envers ces aînés qui se sont laissés exploiter, piller...
Antagonismes de castes, les ascendances déterminant une existence, vouant la "mal-née" à un perpétuel rejet...

Ayant grandi dans une société patriarcale, où la religion servait de prétexte à les asservir, les reléguant au rôle de mère et, éventuellement, d'épouse (à condition d'être soumise), elles ont, pour certaines d'entre elles, parfois peiné à définir leur identité, à assumer leur désirs profonds, à s'imposer comme des êtres à part entière, responsables de leur destin et de leurs choix.

Pour autant, elles ne sont ni dans la rancoeur, ni la victimisation. Elles sont en quête de chemins pour se réaliser en toute sincérité avec elles-mêmes, et cette quête passe par des retrouvailles avec leurs origines, et cette africanité perdue, avec ses croyances, son idiome, ses traditions séculaires, les liens qu'elles tissaient entre les êtres, hommes et femmes. Renouer avec le sacré, hors des diktats religieux d'hier ou d'aujourd'hui, pour pouvoir bâtir leur propre modernité, imaginer un avenir réconciliant l'essence du peuple africain et les aspirations de ses représentants de la jeune génération.

L'accomplissement de leur féminité, indissociable de leur épanouissement en tant qu'individu, est aussi intimement lié à l'acceptation de leur sexualité, quelle que soit la forme que prennent leurs désirs.

Les événements de la nuit d'orage qui provoque leur monologue intérieur, en déliant leurs pensées, leur remettent en mémoire les bases d'une solidarité sororale, indispensable à leur survie dans une société inique, indispensable enfin, à la réparation de leurs souffrances.

Les avis sur ce roman découverts à l'issue de ma lecture évoquent régulièrement sa langue difficile à aborder, et une complexité parfois décourageante. Je me suis alors souvenue qu'en effet, l'entrée dans "Crépuscule du tourment" peut sembler abrupte, voire absconse... mais l'écriture de Léonora Miano, érudite, sensible, éloquente, s'apprivoise peu à peu, et finit par vous envoûter au point de vous faire complètement oublier ces débuts laborieux.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
Commenter  J’apprécie          10



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}