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Critique de Cigale17


Paru aux Éditions Québec Amérique en 2011, antérieur donc à Bondrée, le roman Rivière tremblante d'Andrée A. Michaud atteste de la grande maîtrise de cette auteure québécoise qui a déjà onze romans à son actif, dont au moins deux ont reçu plusieurs prix.


Le récit est divisé en trois parties, elles-mêmes subdivisées en parties titrées ou en chapitres non titrées, et cette construction sert à la fois l'intrigue et l'évolution psychologique des personnages.


La première partie commence par une sorte de prologue : deux pages qui nous situent au cœur de l'action, en janvier 2009, à Rivière-aux-Trembles ; une narratrice à la première personne vient d'assister à l'enterrement de son père. On comprend qu'elle a quitté le village après un drame, il y a très longtemps. Harassée, triste et troublée, elle tente de se recueillir près de la chapelle où le corps de son père restera jusqu'au printemps quand elle entend un cri de terreur : c'est toi, Michael ?, demande-t-elle avant de s'effondrer en larmes…


Deux narrateurs à la première personne vont ensuite se succéder dans cette première partie ; ils ne se connaissent pas, mais ils ont tous les deux vécu un drame sinon semblable, du moins comparable : la disparition d'un très proche. Dans « Les histoires », Marnie, que nous venons de rencontrer adulte, raconte comment, lorsqu'elle avait onze ans en 1979, son meilleurs ami de 12 ans, Michael, a disparu. Les enfants ont entendu un cri terrible, Mike qui était près de la rivière s'est d'abord figé avant de partir en direction de la forêt après s'être retourné pour crier à la petite fille ces mots bizarres : « Mauvais temps, madame, mauvais temps… Ne plie pas le jour… ». Bill à son tour raconte comment et pourquoi il a échoué dans ce village. Il veut fuir les accusations de sa femme Lucy-Ann qui, folle de douleur, lui reproche de ne pas être allé chercher Billie à l'école pour l'emmener à son cours de danse : la petite fille, huit ans et neuf mois, a disparu pendant ce très court trajet trois ans auparavant.


Le lecteur apprendra à mieux connaître ces deux narrateurs dans « Les Noms ». En fait, les noms de chacun des protagonistes, et même ceux des lieux, ont une histoire et des couleurs particulières dans ce roman. William se transforme en Bill pour une bonne raison : « Mes livres, je les signe également du prénom de Bill, parce que je ne vois pas comment il est possible de signer William après Shakespeare, Faulkner et Blake. » On saura pourquoi la fille de Bill se prénomme Billie et pourquoi sa femme, Québécoise francophone, s'appelle Lucy-Ann. Mais il faudra attendre pour savoir pourquoi le nom de la rivière évolue (Nana-shipu, Nanamiu-shipu, Nanamassiu-shipu) en inu, et en français de rivière Tremblante à Rivière-aux-Trembles. Il faudra encore patienter jusqu'à ce que le chat Pixie soit momentanément remplacé par un Dixie. Pour sa part, Marnie doit son prénom (lourd à porter) à Hitchcock, et ses surnoms à deux animaux de la forêt dont l'un jouera un rôle crucial dans cette histoire.


La deuxième partie du roman présente successivement « Bill » puis « Marnie » de février à avril 2009 à Rivière-aux-Trembles. Enfin la troisième partie permet au lecteur de suivre « L'Enquête », puis comme il se doit « La Fin », mais il n'est pas question d'en révéler plus que je n'en ai déjà dit.


J'ai trouvé ce roman magnifique et bouleversant. Les aventures de Marnie et de Michael, presque du même âge, encore dans l'enfance mais désireux de se confronter au monde des adultes tout en percevant difficilement la réalité et en ayant recours à la pensée magique, m'ont émue et m'ont fait sourire de nostalgie… L'amour que Bill, auteur et illustrateur de livres pour enfants, porte à sa petite fille source de son inspiration, l'incapacité des parents à faire leur deuil, la douleur qui les éloigne, la descente aux Enfers de Lucy-Ann, la culpabilité des survivants renforcée par les soupçons des policiers et la malveillance des villageois, le refus d'accepter l'irréparable, l'espoir de remonter le temps, de revenir en arrière, de refaire l'histoire, la tentation du suicide, tous ces thèmes traversent cette douloureuse histoire et enrichissent les personnages et… le lecteur.


Que dire de plus… La langue colorée de nombreux québécismes qui n'entravent absolument pas la compréhension et qui se gardent de tout folklore, le quasi lyrisme des descriptions de la nature, particulièrement de l'hiver, une chouette bande-son (plutôt jazzy pour Bill, plutôt rock pour Marnie), et de l'humour, un humour omniprésent, même aux pires moments : alors que Marnie craint de devenir folle, elle se souvient des histoires que lui racontait Phil sur deux ratons laveurs qui s'appelaient Jésuite et Récollet, noms des deux communautés religieuses rivales en Nouvelle France, tant pour l'évangélisation des « Sauvages » que pour l'éducation des colons…


Merci au Grand Prix des Lectrices de Elle et aux éditions Rivages/Noir.
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