Citations sur Au loin, quelques chevaux, deux plumes... (17)
La disparition de chaque vieil homme ou femme signifie la disparition de traditions, de connaissances des rites sacrés que nul autre ne possède ; par conséquent, les informations qu'il faut transmettre aux générations futures, en respectant le mode de vie de l'une des grandes races de l'humanité, doivent être recueillies immédiatement, sinon cette chance sera perdue à tout jamais.
Edward Sheriff Curtis (1907)
Le 18 août 1862, les Dakotas auraient dû recevoir les rations et l'argent qui leur avaient été promis par traité en échange de la cession d'une grande partie de leurs terres - de quoi ne pas crever de faim, le bison étant devenu rare depuis qu'ils ne sont plus autorisés à le poursuivre hors de la réserve où ils ont l'obligation de vivre. Une fois de plus, on ne leur avait rien donné, à part la promesse que tout arriverait bientôt, qu'il fallait être patient. A la place des rations, on leur avait jeté au visage : " si vous avez faim, bouffez de l'herbe !" On connaît la suite. L'humiliation décuple la force que la faim a jugulée.Les Dakotas se révoltèrent.
Ce dos sec, buriné, malmené, le fascine. Et l'inquiète. Un paysage aride vu du ciel. Deux longues cicatrices mal recousues y ont tracé le relief de deux chaînes montagneuses. Quelques oiseaux, de tailles diverses, planent autour, gravés par des coups de couteau, du verre ou du fil de fer barbelé. Les cratères sont probablement le résultat, suivant leur diamètre, de plombs de chasse _ Curtis en devine une dizaine _ et de balles de revolver _ au moins trois.
Les indiens qu'ils n'ont pas exterminés. ils veulent nous rendre invisibles. Tous.
Une civilisation de milliers d'années est en train de disparaître sous nos yeux.
De la notion de bien et de mal, il n'a retenu que cette morale : prends ce qui te fait du bien et laisse ce qui te fait du mal.
La main d'Henry agrippe la sienne, le lapin doit éprouver la même sensation lorsque la mâchoire du loup se referme sur lui. Le bandit garde plus longtemps que nécessaire la main de Curtis, comme s'il hésitait à la broyer.
Dans la journée, le soleil ne s'aventure que du bout des doigts dans ce vallon peu fréquentable, le soir il refuse de s'y attarder.
Il y a quelques années, j'ai photographié une vieille Indienne, Princesse Angeline. On l'appelait comme ça, ça ne sonne pas très indien... Dans cent ans, qui se souviendra de toi ? Ou de moi ? Mais grâce aux photographies que j'ai prises d'elle, on se souviendra toujours de Princesse Angeline. Un petit bout du monde que j'ai découpé, photographié, immortalisé... Comme une porte entrouverte sur le passé. On saura encore dans cent ans à quoi elle ressemblait, comment elle était vêtue. Ses rides, son regard, l'expression de sa bouche... Tous ces détails capturés sur une plaque de verre, ils permettront de se faire une idée de ce qu'elle a vécu. Une idée. Une photographie ne remplace pas une vie entière.
Curtis repensera souvent à cet instant. L'appareil photographique orienté vers son ami Henry, plumes en bas, suspendues. Il revoit le verre dépoli et la place majestueuse qu'y occupe l'Indien Dakota. Ce sentiment fugace de rendre hommage à un autre Indien de la rivière Cannon De rendre vie aux Indiens d'Amérique du Nord que l'homme blanc cherche à rendre invisibles. Avec la seule photographie qu'il rapportera de ce voyage, il aura fait bien plus que capturer et immortaliser un bout du monde tel qu'il est. Il a recréé le monde tel qu'il a été. Il a redonné vie à une époque évanouie.
_ Une photographie, c'est aussi cela, Henry, dit-il à son ami disparu au loin avec les siens. C'est redonner naissance.