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Critique de gerardmuller


La crucifixion en rose
Tome I SEXUS
Henry Miller (1891-1980)
« Ce doit être un jeudi soir que je la rencontrai pour la première fois, au dancing…Je me sentais frais et dispos le coeur pur, obsédé par une seule idée : la posséder à tout prix…J'approchais de ma trente troisième année, l'âge du Christ en croix…J'étais au plus bas de l'échelle ; un raté dans toute l'acception du terme…J'étais loin de me figurer que cette semaine allait être l'apothéose de ma vie et durer sept longues années… »
Ainsi débute ce roman et d'entrée le ton est donné par le narrateur, marié il faut le savoir avec une personne qu'il hait, Maude, une femme qui secrète une tristesse accablante au sein d'un foyer qui ressemble à un sépulcre. Il n'espère guère que sa vie va changer suite à cette rencontre quand il dit :
« Voilà trente ans que je porte la croix de fer de la servitude infâmante, que je sers sans la foi, que je travaille sans gages, que je me repose sans connaître la paix. »
Il n'y a vraiment pas de raison que ça change, et pourtant …
Dès lors, il n'a de cesse de la rechercher dès le lendemain, pour des retrouvailles orgasmiques lorsque Mara allume pour lui, pleins feux la rayonnante incandescence de son amour.
Travaillant dans le télégraphe, il est peu motivé et songe plutôt à une carrière d'écrivain. D'une humeur sombre quand il n'est pas avec Mara, il voit le monde en larmes pour l'éternité, le rire n'étant qu'un instant qui passe et la joie une folie passagère dans un monde de tristesse.
« Faire rire le monde est une chose ; faire son bonheur, c'est une autre paire de manches. Personne n'y a jamais réussi. »
On peut dès l'entame admirer le beau style de Henry Miller :
« Mara était vêtue d'une robe noire à pois, à la mode suisse, qui soulignait l'opulence de ses formes. La brise jouait légèrement avec la masse noire, luisante, de ses cheveux, avivant son visage lourd d'une pâleur de craie, comme l'embrun qui fouette la falaise. Dans sa foulée rapide et souple, si sûre d'elle, et alerte, je vis une autre preuve d'un sens renouvelé de la vie : c'était l'animal jaillissant de la chair éclatée, avec la grâce et la beauté fragile de la fleur. C'était elle dans son être diurne, fraiche, saine, vêtue très simplement et parlant presque le langage de l'enfance. »
Magnifique.
L'autre trait de caractère d'Henry est d'être constamment désargenté tout en étant très généreux dès qu'il a trois sous, issus soit de son salaire soit d'un emprunt aux amis Ulric ou Kronski.
Son ami le Dr Kronski passe son temps dans de grands discours à nettoyer le monde, remettant de l'ordre dans la « grande bâtisse », préparant la voie à la fraternité humaine ! et au règne de la liberté de pensée. Kronsky qui ne se prive pas de privautés avec Mara qu'il fait plus que guigner :
« La tête blottie dans le giron de Mara, telle une vipère dilatée, il laissait les mots filtrer de ses lèvres, à la façon du gaz qui fuit d'un robinet mal fermé. C'était la plainte étrange de l'irréductible atome humain, la sub-âme errant dans les caves de la misère collective. »
Henry pense que Mara ne lui dit pas tout de sa vie et chaque jour connaît son lot de découvertes et de déconvenues passagères qui lui permettent de renouer temporairement avec Maude après qu'il lui a avoué sa liaison avec Mara.
Un nouveau rival se profile en la personne de Carruthers et Henry entrevoit la possibilité de s'établir avec Mara pour couper court à toute intrusion.
C'est plus tard le début d'une vie commune : Henry et Mara ne peuvent plus se quitter et s'installent dans le Bronx. Henry avoue qu'il ne possède pas Mara même si elle est entièrement sienne presque esclave, mais que c'est lui qui est possédé, la proie d'un amour comme il ne s'en est jamais offert, un amour qui est un gouffre, un amour total…pour se prosterner devant l'image de la divinité, mourir mille morts imaginaires, anéantir toute trace de soi, découvrir l'univers entier, incarné, enchâssé dans l'image vivante de l'autre… À présent ils sont Mona et Val : ils ont changé de vie et de noms !
Henry ne s'est pas rendu compte, au début de leur relation, du grand besoin que Mona a de lui, ni du changement qu'elle a opéré dans ses habitudes, afin de lui offrir d'elle une image idéale. Elle fait l'impossible pour se rendre indispensable, pour aimer Henry avec dévotion et abnégation. Et Henry de reconnaître qu'il a certainement plus besoin d'elle qu'elle de lui.
Mona incite de plus en plus Henry à se mettre à l'écriture qui lui de son côté se dit qu'il se doit de commencer ne serait-ce que par amour pour elle. Et alors Henry s'épanche en des phrases magnifiques pendant des nuits de hantises, où regorgeant de créations il ne voit rien que les yeux de Mona et dans son regard, montant comme des lacs de lave bouillante, des fantômes s'exhalant en surface, se fanant, s'évanouissant, réapparaissant, trainant avec eux l'effroi, l'appréhension, la peur, le mystère. Image fugitive et toujours poursuivie…et derrière ses fantômes se dissimule une créature enfantine, diminutive faisant mine de s'offrir lascivement…
« « Nuit après nuit, je ne quittais les mots que pour trouver le rêve, la chair, le fantôme. Possession et dépossession...chair blanche et frêle de l'enfant…et la nuit, c'est le désir et l'attente, l'attente au-delà de toute endurance. »
S'en suit une longue réflexion sur la création littéraire, un thème qui obsède Henry entre deux épisodes amoureux, s'interrogeant sur les grands mystères du rapport entre l'Homme et l'Univers. Pour lui, l'artiste se doit de franchir en force les frontières du réel.
« L'intelligence est peut-être une bénédiction ; mais la confiance totale, la crédulité poussée jusqu'à la simplicité d'esprit, la reddition sans condition, c'est une des joies suprême que réserve la vie. »
Henry sous prétexte de voir sa fille rend régulièrement visite à Maude dont il n'est pas encore divorcé et les corps avec nostalgie se rapprochent dangereusement… Sans compter avec Mélanie, la servante de sa femme, un être fantasmatique à priori ridicule mais dont la bestialité provoque Henry « comme le ferait une brebis en chaleur pour un berger solitaire… Ses cheveux blancs ne faisaient que mieux souligner le leurre frémissant de sa chair, ses yeux étaient d'un noir de jais, son sein ferme et plein, sa hanche telle un champ magnétique…Elle donnait l'illusion d'aller et de venir nue…Elle me hantait comme un feu rouge en pleine nuit…Songeant à la beauté démente de Mélanie, je m'abandonnais souvent à d'extatiques rêveries charnelles… » Mélanie, une veine de fabulation qu'Henry étalerait sur le papier un jour…
Henry, toujours aussi désargenté, plus tard connaît des moments d'exaltation et d'inspiration qu'il raconte, comme habité en marchant dans les rues du Bronx pour écrire le livre d'une vie.
« le soleil se couchait à l'ouest comme d'habitude, dans le dégoût cependant, et non dans la splendeur et le rayonnement, pareil à une omelette somptueuse noyée dans des nuées de morve et de glaires catarrheux. »
Alors qu'il se livre à des ébats avec Maude, il est appelé d'urgence ; Mona a fait une tentative de suicide. Elle ne supporte plus les visites répétées d'Henry à son ex. Elle décide d'abandonner la danse pour le théâtre, ce qui lui va bien, car elle est dans la vie de tous les jours capable de changer de rôle avec une rapidité dévastatrice :
« Elle changeait de rôle sous vos yeux, avec ce talent incroyable et insaisissable de prestidigitateur qui permet aux étoiles de music-hall d'incarner les personnages les plus divers. Ce qu'elle avait fait inconsciemment toute sa vie, elle apprenait maintenant à le faire délibérément grâce au théâtre. »
La relation amoureuse entre Mona et Henry prend alors un tour nouveau :
« Elle dégageait une force, un magnétisme, un charme rayonnant. Elle faisait penser à une de ces Italiennes de la Renaissance dont le regard méditatif et le sourire énigmatique vous contemplent, du fond d'une toile qui recule à l'infini…C'était mon devoir, ma mission, ma destinée en cette vie de la chérir et de la protéger… Un revenant de la Renaissance, tombant sur Mona et moi à l'improviste, eût parfaitement pu nous prendre pour deux personnages délogés d'un tableau représentant la fin violente de l'escorte miteuse d'un Doge sybarite. Nous gisions à l'orée d'un monde en ruines, composition présentant les caractères d'une étude plutôt précipitée de perspectives et de raccourcis, où nos corps prostrés mettaient la touche picaresque. »
À noter les très belles descriptions de New York page 566 et 567 conjuguées avec la vie sexuelle échevelée de Henry Miller qui est relatée sans circonlocutions dans la plus verte crudité dans le chapitre XIX. Tout ce chapitre est un moment d'anthologie peu égalé dans la littérature érotique.
Ce livre de 666 pages (diaboliques !) est un grand, passionné et féroce récit autobiographique avec le présent et le passé alternant, avec des analepses savoureuses comme ce souhait d'Henry d'instaurer un ménage à trois avec sa femme Maude et une de ses maîtresses Carlotta, avec l'évocation de tranches de vie avec ses amours et ses amis et les réflexions métaphysiques induites. Ou encore quand Henry psychanalyse son ami Kronski moyennant finance et se constitue une petite clientèle, toujours à l'affut de quelques dollars à gagner.
C'est une oeuvre étonnante, ardente, riche, puissante, totale avec comme fil conducteur l'amour indestructible pour Mona.
Extraits :
« On ne devient jamais que pour être. »
« du peu de lectures que j'avais faites, j'avais tiré cette conclusion que les hommes qui trempaient le plus dans la vie, qui la moulaient, qui étaient la vie même, mangeaient peu, dormaient peu, ne possédaient que peu de biens, s'ils en avaient...Ce qui les intéressait, c'était la vérité, rien que la vérité. Ils n'accordaient de valeur qu'à une seule forme d'activité : créer… Et créer, c'est trouver ma légende où entrerait ma clef qui ouvre l'âme. »
« L'objet de la discipline est de promouvoir la liberté. »
« L'imagination, c'est la voix de l'audace. »
« Les gens continuent à espérer jusqu'à leur lit de mort. L'espoir est un signe funeste ; symbole d'impuissance. le courage n'est pas plus utile. »
« le cul d'une femme vous renseigne exactement sur elle : caractère, tempérament.. ; il vous dit si elle est ardente, morbide, gaie ou légère, responsive ou non, maternelle ou amoureuse du plaisir, active ou indolente, voire même si elle est sincère ou menteuse de nature ! »
En visite à la cathédrale de Naples : « Deux mille ans d'imposture et de calembredaine pour aboutir à ce triomphe de foire ! »
Quand on est sans travail et trop dégouté pour en chercher, mieux vaut encore aller s'asseoir dans un trou puant… »
À lire absolument !
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