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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il regroupe les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2020, écrits par Peter Milligan, dessinés par ACO, encrés par David Lorenzo, et mis en couleur par Dean White. Les couvertures ont été réalisées par ACO. le tome comprend également la couverture variante de Keron Grant, et celle de Mike Deodato junior, et celle de Rahzzah, une postface d'une page et demie de Milligan, et une d'une demi-page de ACO.

À Hong-Kong, Barrett Cornell, un homme d'affaires millionnaires, imagine ce qui se passerait s'il se jetait d'une fenêtre depuis le haut étage du gratte-ciel où il séjourne : la paix qui viendrait enfin envahir son corps sans vie écrasé sur la chaussée. Burke, un de ses subalternes, lui indique que les amusements sont arrivés : deux jeunes femmes dans des tenues très dénudées. Il lui répond que, finalement, il va aller faire un tour. Burke lui répond qu'il va prévenir la sécurité de cette sortie. Cela fait dix jours que Rônin suit la trace de Cornell. Il pense à quel point les frontières n'ont pas de sens pour un individu tel que Cornell, qu'elles n'assurent aucune protection aux nations, et que ce sont les multinationales comme celle dont il fait partie qui gouvernent le monde : Lincoln's Eye, American Dream, et même Book of Changes Inc. en Chine. Cornell monte dans sa limousine, et il est escorté par un groupe d'une demi-douzaine de gardes du corps à moto. Rônin a enfourché la sienne et les suit en se montrant très professionnel, avec une touche d'inexpérience pour se faire remarquer. Cela ne manque pas de se produire, et l'un des motards le prend en chasse.

Rônin fait en sorte de se coincer tout seul dans une impasse déserte, et fait une chute à moto. Son poursuivant arrive, descend de moto et le tient en joue avec son pistolet. Rônin le désarme rapidement, avec un maximum de brutalité pour bien faire comprendre qu'il ne plaisante pas. Il a besoin d'informations sur Barnett Cornell. Ce dernier a réussi à faire accepter par Gigi Lo qu'elle lui consacre quelques minutes. C'est l'héritière de l'entreprise Lo Electrics, et elle a vingt-cinq ans de moins que lui. Elle le reçoit dans un musée, avec ses deux panthères et ses gardes du corps. Il déclare tout de go que coucher avec elle est la seule chose qui donne un sens à sa vie. Elle lui répond sarcastiquement qu'elle pensait qu'il était venu pour parler d'expressionnisme abstrait. Il continue : il est prêt à lui offrir une des îles qu'il possède dans les Caraïbes si elle accède à sa demande. Elle rit, avec une note de cruauté et de moquerie. Rônin a tout observé à l'abri et il se dit qu'il lui faut absolument comprendre ce que veut Cornell, si c'est un besoin d'humiliation, de masochisme psychologisme, ce qui le fait souffrir. Gigi Lo dispose également de ses propres gardes du corps, mais ils ne sont pas de la trempe de ceux de Barrett Cornell. Quelques jours après, elle revient à son hôtel après son footing et elle trouve Rônin installé dans le canapé de sa suite, avec les deux panthères à ses côtés.

La couverture parle d'elle-même : un homme énigmatique qualifié de rônin, un combattant sans maître, avec un pistolet fumant à la main. le lecteur n'éprouve pas de doute : un assassin qui va accomplir des contrats. Effectivement il y a de cela. Rônin, son nom n'est jamais dit, a décidé de se venger contrer une multinationale qui lui a injecté des nanites dans le sang pour construire un agent de terrain supérieur à un être humain normal. Il a donc décidé de se venger en assassinant les hauts dirigeants, des individus intouchables dans la vie de tous les jours, vivant au-dessus des lois, dictant leurs conditions aux chefs d'état. Peter Milligan n'y va pas avec le dos de la cuillère : les hommes d'affaires assis à la table des directoires et les présidents des conseils d'administration sont des individus corrompus par le pouvoir, et ils manient un pouvoir presque absolu. Ils traitent leurs employés comme des consommables, et ils considèrent les femmes comme de la marchandise qu'ils achètent pour leur bon plaisir. Sans oublier que, bien sûr, ils vivent dans le luxe et l'opulence, protégés par l'élite des gardes du corps, totalement dévoués à leur survie. Il va donc ainsi réussir à assassiner Barrett Cornell haut placé dans la hiérarchie de Lincoln's Eye, et passer à Warren Kennedy, le suivant sur sa liste.

Le lecteur remarque tout de suite le choix de couleurs très tranché de la couverture, ainsi que l'élégance de Rônin assis sur son fauteuil à roulette. À l'intérieur, Dean White, un coloriste remarquable, met en oeuvre une approche naturaliste, venant nourrir les dessins de manière remarquable, que ce soit pour les textures, les reliefs, ou encore les effets spéciaux, et quelques incursions plus psychédéliques en phase avec l'intrigue. Aco dessine dans un registre réaliste avec un bon niveau de description. L'artiste joue le jeu de montrer un homme viril, fort et sachant se battre, avec des touches discrètes pour le rendre plus romanesque, plus admirable, grâce à un angle de vue un peu incliné, une mise en scène qui le privilégie, une exagération de sa souffrance tout en restant dans un domaine réaliste. Il l'habille de tenues élégantes tut en restant simples. le lecteur suit un individu mystérieux, souvent dans l'action, et sachant se battre. Il évolue souvent dans des endroits luxueux auxquels le dessinateur sait donner une personnalité par le mobilier, l'agencement, les dimensions. Il affronte ou il traque des individus avec des vêtements plus luxueux, une attitude souvent hautaine et méprisante vis-à-vis des autres qu'ils jugent être d'une classe inférieure à la leur. Il est visible que Aco prend plaisir à représenter les voitures de luxe et les jets privés. Il sait bousculer les cases pour des structures de page qui accompagnent les mouvements et les soubresauts, saupoudrés de quelques détails gore.

Le lecteur a vite fait de prendre goût pour cette narration nerveuse, violente, tout en se disant que finalement la couverture était trop fidèle : une simple série d'action bien ficelée. Mais non, il y a plus : les pages ne sont pas juste bien faites et séduisantes. Régulièrement, la narration visuelle s'écarte un peu de ces clichés de bonne facture, en introduisant des éléments inattendus. Ça commence quand Rônin s'injecte dans les veines une substance contenant des traces d'ADN de Barrett Cornell. Aco réalise montre le personnage assis en tailleur, et une trentaine d'images comme des clichés disposés tout autour de sa silhouette, des souvenirs et des sensations que ressent Rônin. Il reprend ce dispositif très parlant à l'identique dans le deuxième épisode, avec la même efficacité. Dans l'épisode 3, il bouscule les cases qui sont de guingois pour un cauchemar éprouvé par Rônin pendant son sommeil. Dans le même épisode, Dean White passe à une palette psychédélique le temps d'une courte séquence. Ces moments tranchent avec l'ordinaire d'une série d'action.

Effectivement, Peter Milligan ne s'est pas limité à un justicier vengeur qui élimine de richissimes hommes d'affaire qui agissent impunément au-dessus des lois. Rônin dispose d'un avantage : lorsqu'il s'injecte de l'ADN de sa victime, sa capacité d'empathie totale se déclenche, lui permettant de percevoir des fragments de la vie de la personne, ou plutôt de ressentir les émotions associées à ces moments. Dans la postface, il explique qu'il a voulu ainsi opposer au capitalisme froid et dévorant des multinationales qui sapent le pouvoir des démocraties, un individu ressentant les émotions avec acuité. le fait est que ça fonctionne bien. Certes il s'agit d'un élément à cheval entre anticipation et fantastique, et l'image de Rônin en train de s'injecter un produit pas très bien défini nécessite un petit supplément de suspension consentie d'incrédulité de la part du lecteur. Une fois cet ajustement effectué, cette dynamique fonctionne très bien. Rônin se glisse dans la peau de sa victime et perçoit sa peur intime, pas un gros monstre baveux et plein de dents acérées, mais une angoisse profonde de l'individu qui s'avère capable de la mettre à profit comme source d'énergie, e la sublimer, mais qui est aussi incapable de la surmonter. Il vit avec et c'est pour toute sa vie. Ça le ronge autant que ça le fortifie. Cette composante prend alors le dessus, transformant un récit entre espionnage et policier, en un thriller psychologique. le lecteur reconnaît bien le savoir-faire de Milligan dans quelques angoisses malsaines, et la manière dont l'individu les exorcise en maltraitant d'autres êtres humains.

Ce récit rappelle qu'il est difficile de juger un livre sur sa couverture, même pour une bande dessinée. Les auteurs semblent tout d'abord raconter une histoire de vengeance très classique, et très bien menée. Puis en cours de route, le lecteur tombe sous le charme de la narration visuelle, Aco ayant parfaitement intégré l'influence de Jim Steranko qui était si manifeste dans Nick Fury: Deep-Cover Capers (2017) de James Robinson. Il se souvient peut-être que Peter Milligan avait écrit une série avec un thème assez similaire, un individu qui prenait la place de personnes avec un contrat : Human Target (1999-2004). Ici la psyché de l'individu est moins explorée en profondeur, et l'accent est mis sur la force de l'empathie, avec assez de subtilité pour fasciner le lecteur.
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