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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une nouvelle série, introduisant un nouveau personnage dans l'univers Valiant. Il comprend les épisodes 1 à 4, initialement parus en 2016, écrits par Peter Milligan, dessinés et encrés par Juan José Ryp, avec une mise en couleurs de Jordie Bellaire. Les 3 pages d'introduction ont été illustrées par Raúl Allén. Les couvertures sont l'oeuvre de Cary Nord. Ce tome comprend également les couvertures alternatives réalisées par Dave Johnson, Khari Evans, Adam Gorham et Lewis Larosa.

L'introduction illustrée indique que le récit débute en l'an 60, sous le règne de Néron, et de l'empire romain, une société dominée par les mâles, dans laquelle les femmes n'ont pas le droit de vote, ni le droit de posséder des biens. Elle évoque ensuite le cas particulier des vestales, et leur ascendant sur le pouvoir en place. En l'an 60, Rubria, la cheffe des vestales, convainc le centurion Antonius Axia d'effectuer une mission non autorisée pour sauver Drusa, une vestale ayant été enlevée. Enfreignant le règlement militaire, il accomplit cette mission avec 2 autres soldats. Il se retrouve à la merci du démon Orkus. Il ne doit son salut qu'aux soins prodigués après coup par les vestales qui lui permettent également de plonger dans le codex de Vesta, la déesse vierge du foyer du peuple romain.

6 ans plus tard Antonius Axia est toujours un soldat, mais aussi le premier enquêteur d'un genre nouveau, qui utilise le savoir du codex de Vesta pour analyser le comportement des individus de manière rationnelle. Il dispose d'une maison et d'un esclave appelé Bran. Il est convoqué par Néron dans son palais, et reçu en présence de Rubria. Néron le missionne pour aller enquêter en Bretagne (la province romaine) sur des troubles d'origine surnaturelle au nord de la frontière de Fort Paulinus. À regret, Antonius Axia se met en marche, laissant derrière lui Avitus, son fils qu'il a confié à des parents adoptifs et soupçonnant l'influence de Rubria quant au fait qu'il ait été choisi pour cette mission.

L'éditeur Valiant publie des séries qui ne proposent que rarement de nouveaux personnages qui ne soient pas apparus précédemment. Il l'avait fait avec Divinity de Matt Kindt & Trevor Hairsine, et Savage de B. Clay Moore, Clayton Henry et Lewis Larosa. le lecteur est donc assez intrigué de voir apparaître ce premier tome, au titre énigmatique qui ne donne pas d'indication sur le nom du personnage principal, à la couverture frappante. le nom Britannia renvoie aussi bien à la province romaine de Bretagne, qu'à la personnification féminine de la Grande Bretagne. le lecteur remarque également le nom des créateurs : Peter Milligan scénariste souvent provocateur sachant se montrer assez noir quand il est en verve, Juan José Ryp dessinateur de précision jusqu'à l'obsession, et Jordie Bellaire metteure en couleurs inventive. Tout s'annonce sous les meilleurs auspices.

Dès la première page, le lecteur apprécie la qualité de la reconstitution historique. Juan José Ryp est un dessinateur de type descriptif, avec un fort investissement pour réaliser des dessins détaillés au maximum. Il admire les décorations des boucliers, des soldats, le bosselage de la protection métallique du tronc d'Axia, la finition de sa boucle de ceinture, les plis de la robe de Rubria, les tatouages mystiques sur le corps dénudé de Drusa, les rouleaux de bois permettant d'enrouler le codex, l'aménagement de la taverne dans laquelle Axia va prendre une bière, la décoration de la grande salle dans laquelle Néron prend son bain, le temple des vestales, les dizaines d'yeux d'Orkus, les détails des vêtements militaires, les objets mystiques dans la hutte ronde d'Eryn, les accessoires dans la tente du préfet Gabinius, etc. Contrairement à certains de ses comics précédents, Juan José Ryp n'essaye plus de caser le maximum d'informations visuelles dans chaque case.

La lisibilité des cases les plus chargées est grandement améliorée par la mise en couleurs de Jordie Bellaire. Outre la fonction de rendre compte de la couleur de chaque objet, la mise en couleurs participe à rassembler les différents éléments visuels dans une même ambiance, générée par une teinte majeure déclinée en plusieurs nuances. Elle peut également être utilisée pour faire ressortir le premier plan, en utilisant une couleur différente pour l'arrière-plan. de temps à autre, mais avec parcimonie, l'artiste s'affranchit de dessiner des arrière-plans (en particulier quand il veut focaliser l'attention du lecteur sur les personnages), ou il peut aussi recourir à la présence d'une nappe de brouillard pour masquer l'environnement et ne pas avoir à le représenter.

Le scénario de Peter Milligan et les développements de l'intrigue comprennent des séquences variées. Juan José Ryp dispose donc de plusieurs occasions pour se lâcher dans le gore : Antonius Axia faisant usage de son glaive pour tailler dans la chair, Néron égorgeant un prisonnier, un charnier découvert suite au passage d'Orkus, des cicatrices répugnantes, des membres tranchés avec des giclées de sang. Il prend visiblement plaisir à représenter les expressions exacerbées, que ce soit celle des combattants emportés par la rage de vaincre, les regards calculateurs de Rubria, le visage de Néron habité par un état d'esprit déséquilibré, ou encore la hargne s'affichant sur le visage du préfet Gabinius. le lecteur apprécie également la mise en scène de séquences spectaculaires comme la chasse fantastique dans les bois embrumés, Antonius Axia envahi par le savoir du codex, les souvenirs de guerre d'Antonius Axia en début de l'épisode 3.

Le lecteur ne sait pas trop quel de genre de récit il va découvrir dans ce premier tome. La quatrième de couverture indique qu'Antonius Axia est un enquêteur d'un genre nouveau dans le contexte de l'empire romain et du règne de Néron. le lecteur a peut-être déjà eu l'occasion de lire des romans policiers de ce type, par exemple ceux de John Maddox Roberts ou Steven Saylor. Peter Milligan s'amuse effectivement à faire en sorte qu'Antonius Axia soit capable d'observer le comportement des individus et d'en déduire des traits psychologiques. D'une certaine manière, le codex de Vesta a imparti des connaissances du vingtième siècle au personnage. Cela donne 2 ou 3 scènes amusantes par le décalage produit entre un comportement antique et des déductions fondées sur une connaissance contemporaine. Mais finalement cette dimension du récit n'est pas la principale.

Au fur et à mesure des séquences, le lecteur se rend compte que le scénariste a centré son récit sur Antonius Axia qui apparaît dans toutes les scènes sauf une, consacrée à un échange entre Néron et Rubria. le lecteur suit donc les ventures d'un homme fort et viril, capable d'analyse psychologique, que la narration associe plus à un côté féminin. C'est un homme prompt à l'action, vaillant au combat physique, mais pas très heureux, du fait de sa relation avec son fils. le lecteur y voir une forme d'avatar du scénariste capable de se lancer dans les batailles littéraires, de mener des récits comme on mène une enquête. Même si Antonius Axia constitue un point focal, le récit présente plusieurs facettes. Pour commencer il y a cette enquête sur ce qui se passe vraiment à l'extrême Nord de la province de Bretagne. Même si le récit donne l'impression d'oublier cet aspect en cours de route, cela donne bel et bien lieu à la découverte d'activités criminelles soigneusement organisées. Milligan met à profit l'exercice du pouvoir dans une région très éloignée du pouvoir central (basé à Rome), avec la tentation d'en abuser.

L'introduction illustrée par Raúl Allén insiste dès le débit sur la place des femmes dans la société romaine, et la situation privilégiée des vestales. le lecteur constate effectivement que Peter Milligan met en scène à plusieurs reprises la dualité entre les sexes. Rubria parvient à influencer Néron grâce à sa responsabilité de la flamme qui ne doit pas s'éteindre. Elle manipule Antonius Axia à plusieurs reprises, que ce soit quand il devient le récipiendaire du savoir contenu dans le codex, ou quand elle fait en sorte qu'il soit envoyé en Bretagne. Elle s'arrange pour que Drusa ait un fils de lui. En Bretagne, plusieurs femmes savent utiliser la magie (qualifiée de Wyrd) ce qui leur confère une forme d'autonomie par rapport aux hommes. Dans le même temps, les hommes font régner la loi par la force, et les femmes servent au repos du guerrier. Il est possible d'y voir une mise en scène du fait que hommes et femmes sont prisonniers de leur condition, mais aussi capables pour quelques-uns et quelques-unes de tirer parti de leur condition, ou d'utiliser les modes opératoires de l'autre sexe. Avec cette idée en tête, le surnaturel devient la manifestation de la fusion entre les 2 sexes. Néanmoins en 4 épisodes, c'est un thème qui reste à l'état de potentialité, sans être développé.

Ce premier tome d'une nouvelle série propose une histoire complète, déconnectée de l'univers partagé Valiant. Juan José Ryp réalise des dessins détaillés et précis qui permettent au lecteur de se projeter dans cette époque, tout en se rendant compte que la reconstitution est partielle. le scénario de Peter Milligan s'avère assez ambitieux, puisqu'il mêle reconstitution historique, histoire personnelle d'Antonius Axia, enquête policière et politique, et manifestations surnaturelles. Néanmoins tout le potentiel de la série n'arrive à s'exprimer faute de place.
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