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Critique de vibrelivre


Un repas en hiver
Hubert Mingarelli
roman, Stock, 2012, 137p



A peine m'avait-on prêté ce livre, que j'appris la mort de son auteur, né Lorrain en 1956. C'était le 26 janvier dernier. le crabe l'avait dévoré. Il avait quitté l'école à 17ans, et s'était engagé dans la marine. C'était un auteur discret que je ne connaissais pas du tout, et pourtant en 2019, il était en lice pour le Man Booker International Prize.
J'ai lu son livre avec un état d'esprit particulier.
C'est un petit livre, mais prenant. L'auteur sait tenir le lecteur en haleine. On est suspendu à ce qui va arriver, à la décision qui va être prise.
C'est l'hiver, en Pologne, pendant la seconde guerre mondiale. La neige est gelée, épaisse, le froid cinglant. On est comme dans une pièce de théâtre classique, un lieu, un jour, une action.
Trois soldats allemands, des réservistes, des hommes ordinaires, forment comme une « famille ». L'un d'entre eux a un fils, et il s'inquiète constamment de savoir s'il fume. Tout en ayant conscience que la cigarette, en période d e guerre, réconforte. Les deux autres se proposent d'être les oncles du fils.Le lecteur sait que le père mourra au printemps suivant. Ce qui donne au récit son registre tragique, et le couvre d'un épais sentiment d'absurde, surtout de par la situation.
C'est un récit rétrospectif, écrit à la première personne par l'un des soldats, qui s'adresse parfois directement au lecteur, « vous voyez». Et, vrai, le lecteur voit. Comme s'il regardait un film. On a les soldats habillés pour se protéger du grand froid, le bonnet du Juif orné d'un flocon que sa mère sans doute a brodé, ses moufles qui doivent être très chaudes. On a les pensées dans les têtes. On entend les rares mots. Les hommes sont taiseux, fatigués et affamés. Et la soupe met du temps à cuire.
Le récit conte un repas extraordinaire.
Les trois hommes, las de fusiller des Juifs, ont préféré la chasse à l'homme. Ils débusquent un Juif. Sur leur route, ils trouvent « une sale petite maison polonaise » mais d'y faire un feu, d'y préparer une soupe, elle devient presque comme un foyer natal.
Un Polonais, dont ils ne comprennent pas la langue, s'y invite, la bouche hideuse et la haine du Juif dans la tête.
L'un des hommes veut libérer le Juif. Les autres pèsent le pour et le contre de cette proposition.
On a la marche dans le froid, l'espace ouvert, dans lequel les soldats ont obligation de trouver quelqu'un ; on a le huis-clos, où l'atmosphère est tendue, empêchant le bonheur véritable, ou durable un peu.
On a trois humanités avec ce trio qui se complète, l'un avec sa vue sagace, l'autre avec son instinct de voleur, le troisième avec une idée qui frappe comme un éclair.
Encore une fois, on voit l'absurdité de la guerre, l'arrogance de certains officiers, la bêtise de la haine.
L'auteur a deux points très forts: il rassemble autour d'une table trois soldats Allemands assis, un jeune Juif et un Polonais antisémite qui debout se font face. La langue fait barrière comme une métaphore de l'incommunicabilité des hommes pendant la guerre, et peut-être en d'autres temps le partage du repas, dans un besoin animal, et pourtant retenu, de se nourrir, avec ses moments de cruauté, de fraternité, de souffrance, manifeste les divisions aberrantes et monstrueuses qui séparent les hommes, jamais totalement libres de leurs actes.
L'autre, c'est le style à l'os qui perce les coeurs et les dévoile par quelques mots, des gestes, des soupirs.
Un livre court, au sujet très intéressant, qui touche.
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