[Rentrée littéraire 2022]
Dans une grande ville d'un pays en guerre, un spécialiste de l'interrogatoire accomplit chaque jour son implacable office.
La nuit, le colonel ne dort pas. Une armée de fantômes, ses victimes, a pris possession de ses songes.
Dehors, il pleut sans cesse. La Ville et les hommes se confondent dans un paysage brouillé, un peu comme un rêve ou un cauchemar. Des ombres se tutoient, trois hommes en perdition se répondent. le colonel, tortionnaire torturé. L'ordonnance, en silence et en retrait. Et, dans un grand palais vide, un général qui devient fou.
"Le colonel ne dort pas" est un livre d'une grande force. Un roman étrange et beau sur la guerre et ce qu'elle fait aux hommes.
On pense au "Désert des Tartares" de Dino Buzzati dans cette guerre qui est là mais ne vient pas, ou ne vient plus à l'ennemi invisible et la vacuité des ordres. Mais aussi aux "Quatre soldats" de Hubert Mingarelli.
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Le flocon sur le bonnet du Juif finalement me tourmentait. […] Parce que si vous voulez savoir ce qui moi me faisait du mal, et qui m'en fait jusqu'au jour de maintenant, c'était de voir ce genre de choses sur les habits des Juifs que nous allions tuer : une broderie, des boutons en couleur, ou dans les cheveux un ruban. Ces tendres attentions me transperçaient […] et je souffrais pour les mères qui s'étaient donné ce mal un jour. Et ensuite, à cause de cette souffrance qu'elles me donnaient, je les haïssais aussi.
elle s’est mise à rire. On aurait dit des premières gouttes de pluie sur une flaque d’eau.
Les bruits de la nuit étaient des bouts de verre qui tombaient et se brisaient dans l’air chaud avant d’atteindre le sol.
"C'était une tristesse profonde qui le prenait lorsque assis dans la cuisine il la regardait et se souvenait combien de fois sa respiration avait fini par bercer son désespoir et le rendre humain."
Je m'endormis et rêvai aux bâches avec lesquelles nous avions recouverts les morts, cette nuit-là, et dans mon rêve elles se soulevaient et nous pensions que c'était le vent et nous avions beau planter les piquets elles se soulevaient encore. Nous les retenions avec nos mains de toutes nos forces mais une force plus grande continuait de les soulever et chacun au fond de lui savait que c'étaient les morts qui poussaient avec leurs jambes grises.
L'écho du coup de feu semblait graver l'air, semblait s'en aller et revenir, sans arrêt, comme un orage qui aurait tourné autour de la terre.
Pas la moindre chance non plus qu’il m’entende, car le bruit de la scie était l’exact contraire du silence, un genre de bruit extraordinaire, comme si des milliers de saisons des pluies s’abattaient ici avec fracas, toutes en même temps.
Parce que si vous voulez savoir ce qui moi me faisait du mal, et qui m'en fait jusqu'au jour de maintenant, c'était de voir ce genre de choses sur les habits des Juifs que nous allions tuer : une broderie, des boutons en couleur, ou dans les cheveux un ruban. Ces tendres attentions maternelles me transperçaient. Ensuite, je les oubliais, mais sur le moment elles me transperçaient et je souffrais pour les mères qui s'étaient donné ce mal, un jour. Et ensuite à cause de cette souffrance qu'elles me donnaient, je les haïssais aussi. Et vraiment je les haïssais autant que je souffrais pour elles.
Cette fois ça a été un peu plus vie, on n'a pas fait d'histoire. Tous les quatre on a été d'accord pour infuser dans peu d'eau. Ainsi il était bien fort, comme nous le préférions. Nous l'avons gardé dans la bouche jusqu'au moment où il est devenu tiède. Alors seulement nous l'avons avalé on aurait tous bien aimé revenir une minute en arrière.
A peine bu , c'était un thé plein de nostalgie.
Mais c'est quand même mieux que pas de thé du tout.
page 60
Un vent léger apporta l’odeur d’un chèvrefeuille, et soudain je fus accablé de solitude comme sous le hangar. Une solitude sans début et sans fin. Je la devais sûrement à la beauté de la clairière, de la lumière déclinante et du lointain vrombissement des avions.