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Critique de BazaR


Votre mission, si vous l'acceptez : écrire la biographie d'un gars dont on ne connait pas grand chose.

Georges Minois annonce d'emblée la couleur : les sources sur lesquelles s'appuyer pour écrire la vie de Charles Martel sont très pauvres et très orientées. La chronique du continuateur de Frédégaire (c'est son frérot Childebrand, en fait), des vies de saints, quelques rares sources arabes. du coup l'auteur emploie des techniques qui ont fait leurs preuves dans ces cas-là : il élargit le sujet.
Il va par exemple nous relater tous les Mérovingiens sur 250 ans à la vitesse d'un cheval au galop ; on dirait un film qui passe en accéléré. Il remplit plusieurs pages avec les listes de dons de terre aux monastères ou celles des spoliations. Vu sous un autre angle, cela montre le soin que l'auteur a pris à décrypter en détail ses sources.
Si j'ai trouvé certaines parties lassantes à la lecture, le temps pris pour établir le cadre socio-religio-économique du temps de Charles Martel laisse son empreinte et permet de bien appréhender les événements historiques proprement dits, d'en rendre le cadre confortable. Je n'avais pas réalisé à quel point les monastères et leurs abbés étaient à l'époque impliqués dans le siècle, en tant que conseillers ou comme fournisseurs d'éradicateurs du paganisme. Créer des monastères, supporter l'expansion du christianisme sont des atout politique de très grand poids qu'exploitent à fond la famille des Pippinides (mais aussi leurs rivaux).
Pippinides car le nom le plus « fort » dans la famille est Pépin : Pépin de Landen, Pépin de Herstal (le papa de Charles) et Pépin le Bref (le fiston, à noter que les terres ancestrales des Pippinides sont en Belgique). La famille deviendra « carolingienne » à partir de Charlemagne. Au temps de Martel, le prénom Charles est pour les seconds couteaux comme lui, fils d'une seconde épouse. Des hasards de l'Histoire – son grand-frère Carloman qui préfère le monastère au pouvoir sans qu'on l'y pousse à la pointe de l'épée – et quelques victoires sur le terrain, le chemin s'éclaircit devant lui et il unifie Neustrie et Austrasie). Il passera sa vie à guerroyer pour soumettre les grandes provinces frontalières – Bourgogne et surtout Aquitaine – et les pays encore païens et agités, Frisons et surtout Saxons (un travail de Sisyphe pour ces derniers, dit l'auteur), en s'appuyant sur des moines comme Willibrord et Boniface qui n'y vont pas de main morte pour les convertir au christianisme.

Évidemment, de nos jours Charles Martel est surtout connu pour la bataille de Poitiers. Georges Minois passe en revue les conquêtes fulgurantes Arabes du siècle passé et précise que, si côté musulman il s'agit d'une guerre sainte, d'un djihad destiné à étendre l'Islam au monde entier, le monde Francs n'y voit qu'une guerre de plus contre des Barbares, des envahisseurs. Il connaît peu la religion musulmane qui, chez certains auteurs, est même confondu avec l'arianisme. La notion de guerre sainte contre l'islam attendra les croisades.
L'auteur rappelle aussi que les Arabes restèrent installés longtemps encore en Septimanie et firent des incursions en Provence et même en Bourgogne que Charles Martel repoussera sans pitié. Élément choc, il s'appuie aussi sur le livre de Dario Fernandez-Morena « Chrétiens, juifs et musulmans dans al-Andalus » pour casser le beau mythe de la coexistence quasi paradisiaque des trois religions dans ce pays, sur lequel se sont appuyés de nombreux romanciers. Non, l'Islam n'a jamais été très tendre avec ceux qui refusaient de se convertir.

La dernière partie du livre est consacrée à la façon dont l'image de Charles Martel a été présentée à travers les siècles ; une véritable balle de squash. Parfois très dénigrée – au Moyen-Âge par exemple où on ne lui pardonne pas d'avoir spolié l'Église ; saint Eucher d'Orléans l'imagine même en Enfer à cause de cela – et parfois mise en avant comme sauveur de l'Occident ou de l'Europe. Martel apparaît et disparaît de l'Histoire en fonction de ce qu'on veut faire dire à cette dernière.

L'auteur tente d'être le plus objectif possible mais laisse percer parfois son opinion qui ont l'air très fermes. Celle qui m'a le plus choqué est sa certitude que « Tout ce qui arrive, arrive nécessairement, et l'Histoire est une suite de faits inévitables ». Donc pas vraiment de libre arbitre, aucune possibilité pour un individu de détourner le flot de l'Histoire. L'auteur tient l'uchronie en horreur. Une vision presque mystique.
Georges Minois fustige aussi le roman historique : « Mais comme toujours quand les romanciers s'emparent d'épisodes historiques, ils prennent des libertés avec les faits, et par là sèment la confusion dans l'esprit des lecteurs ». Sur l'éducation historique, il parle de « régression catastrophique de la culture générale » et regrette la vision moderne du politiquement correct qui incite les historiens à s'autocensurer.

La longueur de ce billet montre que ce livre est très intéressant à lire, même si son intention d'origine est un peu détournée vu la petitesse des sources sur Charles Martel. Il est peut-être un peu long, mais vous pouvez faire comme moi et interrompre votre lecture de temps en temps pour passer à des textes plus romancés (ne serait-ce que pour faire rager Georges Minois, lol).
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