Citations sur L'être et le néon (9)
Pour dépasser notre aporie, nous devrons sans doute minimiser l'importance de l'identification subjective limitée au corps humain désigné par un nom, abandonner le nominalisme de la carte d'identité et de la compétition, pour devenir les coauteurs magiques d'un vaste logiciel libre, d'un symphonie que nous composerions tout en jouant. En somme, devenir pure émotion et pure action à la fois.
Nous ne proposons pas tant d'évacuer la notion d'être et le principe d'individuation que de les étendre au-delà du sujet consommateur, vers des idées épiques ou harmonieuses et les projets cosmopolitiques. Ne cherchons plus à être quelqu'un en nous construisant contre les autres, ce qui est toujours une forme de faiblesse et de bêtise. Et si malgré tout la passion de nous affirmer persiste, alors devenons chef d'orchestre, compositrice, organisateur, harmonisatrice.
La notion de destin est dynamique. Il ne s'agit pas de se placer comme un sujet face à un objet qui serait le destin et ses manifestations, mais de rejoindre le cœur même du devenir, là où le créel est agissant et se donne à l'entente : dans la vibration du Verbe.
Le créalisme, c'est le constat que l'humanité porte en elle, irréductiblement, une certaine idée d'un paradis présent, habitable et sensible. Est-ce un idéal d'esclave ? Peut-être. Mais il est préférable d'être un esclave qui songe à briser ses chaînes en chantant plutôt qu'un faux maître qui finira par être l'esclave sourd d'un monde auquel il n'a fait que s'adapter.
Refuser d'être un néon, un produit aisément repérable, un faire-valoir identifiable de la réalité capitaliste, c'est être condamné à errer dans le purgatoire des invendus. (...)
Le développement de soi est un secteur économique florissant, porté par la volonté du consommateur de devenir un être lumineux et positif, luisant et attirant.
L'histoire de la pensée n'est pas peuplée de clercs secs et pointilleux, de machines austères à la rigueur grise, mais d'affirmateurs volontaristes et sensuels, de créatures visionnaires et un peu monstrueuses, de titans prophétiques, élaborant leur système du vécu à la manière de boxeurs, contre un monde qui sans cesse leur donne des coups sur la tête ou sous la ceinture. (...)
La philosophie est la fidélité active à cette double idée : la société est toujours idéologique, et toute idéologie est substituable. Rien de plus éloigné des vrais philosophes, toujours révolutionnaires, que ces petits manuels conservateurs et comiques, écrits par des surdiplômés dégénérescents ou des amateurs philistins, et qui prétendent nous aider à mieux vivre en nous adaptant avec un sourire mou au monde comme il va.
Ce questionnement n'est jamais neutre, comme l'a démasqué Nietzsche au XIXème siècle : un philosophe sérieux est toujours un animal politique ; il vise à faire du monde l'écho de soi-même et de soi-même l'écho du cosmos, le plus honnêtement possible, c'est-à-dire en étant fidèle à ce qui fait de nous des enfants de l'infini.
Exister, ce serait s'extirper de l'être préfabriqué pour avancer dans l'inconnu, faire émerger l'inouï, oser l'illogique ou l'impression qui fécondera une logique plus subtile, articuler ensemble le sens et le non-sens.
Certes, l'évolution globale de la liberté humaine n'est pas toujours flagrante - ainsi avons-nous mis 200 ans à passer de la vente d'esclaves à l'esclavage des ventes.
La mauvaise foi, c'est le réalisme, cette idée qu'il faut s'adapter au monde comme il est, se plier, fût-ce avec ruse, à l'ordre établi "de tout temps" - il faut beaucoup d'efforts pour faire que rien ne change...