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Critique de ladymuse


Suzanne, ou le Récit de la Honte est un court roman de Christina Mirjol paru en 2007 aux éditions Mercure de France. Il sera suivi de « Dernières Lueurs » (2008), « Les Petits Gouffres » (nouvelles, 2011), « Les Invitées » (nouvelles, 2018).

J'ai eu l'occasion de dire sur babelio l'enthousiasme qui m'avait soulevée à la lecture des « Invitées ». « Suzanne ou le récit de la Honte» me fut une révélation plus grande encore. C'est le récit apparemment linéaire mais combien complexe, du choix de Suzanne de ne plus quitter le banc qu'elle a élu pour domicile place Montalbert, après avoir été ignominieusement licenciée pour faute professionnelle, cette place où seuls les oiseaux lui tiennent compagnie, mais celle, aussi, où les gens viennent promener leur chien, « cette toute petite place, sans gloire particulière », «  … ce banc pitoyable... qui m'émeut, qui m'émeut, qui m'émeut, dit Suzanne, parce qu'il est pauvre et triste, parce qu'il est sans histoire, m'émeut infiniment, me réconcilie et m'apaise. »

Suzanne s'apaise dans la noirceur de la nuit « le seul endroit concevable , dit Suzanne ». L'obscurité non seulement la dissimule au regard des autres, mais plus encore au sien. Si elle se regardait dans un miroir, elle ne se verrait pas. « Le besoin de cacher sa disgrâce est humain, dit Suzanne ». Mais cette disgrâce n'est-elle pas aussi la nôtre, une misère plus personnelle, la honte souvent de ce que nous sommes, de nos déceptions, de nos échecs ?

L'opprobe elle-même est exprimée par la standardiste qui « fait semblant de croire que le banc où tu es est en fait un banc vide, dit mon mari Teddy ». Par l'officier de police, ce jeune homme qui lui fait pitié et à qui elle a envie de dire de « s'occuper de la  circulation des voitures ». Par M.Bénizet (le propriétaire de l'affreux chien jaune « rempli de bave haineuse » et ses pareils. Et même par Hans Keller, son ex-patron : « Et cela dure depuis des semaines paraît-il, a dit Hans Keller, dit Teddy ».

Nous avons ici un exemple particulièrement parlant  du style de Christina et de la structure de son roman. Tout est « dit » par Suzanne, qui non seulement « cite » les autres personnages (« dit le patron Keller », « dit Teddy », « dit le flic »), mais se tient elle-même à distance. Ainsi le texte est parsemé de « dit Suzanne » ce qui l'apparente à une sorte fugue musicale, avec répétitions, retours et réponses (répons). Il y a là comme une utilisation du contrepoint.

Un seul personnage reste muet, bien qu'il soit évoqué tout au long du roman, c'est son fils Étienne, qui ne viendra pas voir sa mère, contrairement à « Teddy mon mari », qui vient tous les jours apporter un sandwich à sa femme. Un fils dont on comprend qu'il ne supporte pas la situation, qui se bat avec « le fils Keller ». L'amour que Suzanne lui porte semble rattaché à l'époque où il avait quatre ans et à un souvenir particulier d'une quasi noyade au bord de la mer. Suzanne, pétrifiée (comme elle l'est maintenant), n'a pu intervenir et une jeune nageuse aurait sauvé l'enfant.

C'est ainsi que les moments du passé et du présent s'entrecroisent avec des retours constants de l'un à l'autre. Ainsi les nombreuses références à la mère de Suzanne, par une sorte de procédé d'identification (un voyage en train « sans valise  » est évoqué, or Suzanne n'en a pas/ses jambes gonflées aux veines apparentes), la table de camping et deux chaises pliantes « Et même, une autre fois, il aurait ajouté, dit-on, un parasol. Comme à la plage, n'est-ce pas !

Certains éléments du récit peuvent même nous faire douter des dires de Suzanne. Je préfère ne pas les aborder car ce serait déflorer le texte. Je le mentionne uniquement à titre d'exemple de sa complexité. Dans le fond, qui sommes-nous ? Suzanne a subi une « métamorphose » du fait de son brutal licenciement. A partir de ce moment elle subira une sorte de chute libre. Ceci n'est pas sans évoquer une autre célèbre « métamorphose », car Grégoire Samsa, qui s'éveille un matin « transformé en une ignoble vermine ». Lui aussi perd son emploi et son identité profonde. Il y a chez ces deux personnages comme l'acceptation d'un jugement mérité, la métamorphose apparaissant alors comme l'expression d'une culpabilité et une auto-punition.

C'est ce que nous dit peut-être ce petit scarabée qui « claudique au pied du banc. Il a perdu une patte. Ses antennes cherchent un point où mettre sa carapace dans l'univers que constitue la place pour son corps minuscule ».

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