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Critique de Marylou26


Ma première rencontre avec Patrick Modiano et son roman La Place de l'étoile, en janvier de cette année, ne s'était pas très bien passée; par trop déconcertée par sa forme, et par l'arrivée en scène dès la première page d'un certain Bardamu que je n'avais alors pas encore rencontré - et qui y va d'une bordée d'injures racistes assez dérangeante -, je l'avais abandonné après quelques pages, incapable de trouver la bonne distance avec ce texte, qu'il faut évidemment prendre au second degré, et que je trouvais choquant. Puis j'ai lu Voyage au bout de la nuit au début de l'été, et si j'avais pu supporter Ferdinand Bardamu, ce qui ne fut pas une mince affaire, il en irait peut-être de même avec Raphaël Schlemilovitch, cet antihéros juif, antisémite, collaborateur et j'en passe… Malgré l'ajustement de ma perspective, allant jusqu'à faire des lectures s'y rapportant, de même que des recherches pour tenter d'y voir plus clair dans la multitude de noms et de lieux qui y sont mentionnés, je ne peux dire que j'ai pris un grand plaisir à le lire; j'en ressors cependant fortement impressionnée par cet exercice de style érudit d'un Modiano qui n'avait alors que vingt-deux ans, qui a fait avec ce roman une entrée fracassante en littérature, parodiant et pastichant les écrivains et hommes politiques de l'époque pour parler de l'Occupation, qu'on sent très bien en filigrane, comme dans l'extrait suivant, et de l'identité juive.

« le soir, nous allions au Prater. Les foires m'impressionnent.
- Vous voyez Hilda, lui expliquai-je, les foires sont horriblement tristes. La rivière enchantée par exemple : vous montez sur une barque avec quelques camarades, vous vous laissez emporter par le flot, à l'arrivée vous recevez une balle dans la nuque. Il y a aussi la galerie des glaces, les montagnes russes, le manège, les tirs à l'arc. Vous vous plantez devant les glaces déformantes et votre visage décharné, votre poitrine squelettique vous terrifient. Les bennes des montagnes russes déraillent systématiquement et vous vous fracassez la colonne vertébrale. Autour du manège, les archers forment une ronde et vous transpercent l'épine dorsale au moyen de petites fléchettes empoisonnées. le manège ne s'arrête pas de tourner, les victimes tombent des chevaux de bois. de temps en temps le manège se bloque à cause des monceaux de cadavres. Alors les archers font place nette pour les nouveaux venus. On prie les badauds de se rassembler en petits groupes à l'intérieur des stands de tir. Les archers doivent viser entre les deux yeux mais, quelque fois la flèche s'égare dans une oreille, un oeil, une bouche entrouverte. Quand les archers visent juste, ils obtiennent cinq points. Quand la flèche s'égare, cela compte cinq points en moins. L'archer qui a obtenu le total le plus élevé reçoit d'une jeune fille blonde et poméranienne une décoration en papier argent et une tête de mort en chocolat. J'oubliais de vous parler des pochettes-surprises que l'on vend dans les stands de confiserie : l'acheteur y trouve toujours quelques cristaux beu améthyste de cyanure, avec leur mode d'emploi : « Na, friss schon ! » (« Allez, bouffe ! ») Des pochettes de cyanure pour tout le monde ! Six millions ! Nous sommes heureux à Therensienstadt… » (p. 155-157)
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