Si belle mais si morte

Ne jamais hésiter.
Et pourtant, pensa-t-il, l'hésitation était ce qui distinguait l'homme de toute autre forme de vie : dans la nature, l'homme est celui qui doute, il n'est pas tenu à se limiter au simple automatisme "stimulus-réaction". Au cours des siècles, l'être humain a conquis le droit de réfléchir. Après tout, c'était ce principe même d'incertitude qui avait permis le développement de la civilisation, non ? Réfléchir et agir.

Elle était aussi belle qu'elle était morte. D'une élégance discrète, jouant sur les tons et les nuances de beige, du genre qui veut plaire mais sans ostentation. Seules ses chaussures étaient un tantinet extravagantes: rouges, le talon trop haut, évasées sur le devant. Les orteils dépassaient de la semelle et s'élargissaient en un éventail de viande dont les extrémités vernies étaient du même rouge carmin que ses chaussures.
Maintenant, la question qui se posait était simple: ignorer ce corps, continuer son chemin après avoir rappelé le chien et lire la nouvelle dans les journaux, ou bien appeler le 112 et rester coincée au commissariat une bonne partie de la journée qui, soit dit en passant, avait déjà mal commencé.

Dans la vie, tôt ou tard, on finit par payer l'addition.

Ne mise surtout pas sur l'amour, ma fille, jamais, parce que l'amour prend fin tôt ou tard, et rien n'est plus mort qu'un amour mort.

Sa mère l'avait avertie, pourtant : on ne choisit pas un homme par amour. "Ne mise surtout pas sur l'amour, ma fille, jamais, parce que l'amour prend fin tôt ou tard, et rien n'est plus mort qu'un amour mort. Un amour mort est une carcasse avec laquelle tu devras vivre au quotidien, jour après jour, partager sa chambre et son lit, respirer son odeur de putréfaction comme celle d'une encombrante dépouille."

Ne mise surtout pas sur l’amour, ma fille, jamais, parce que l’amour prend fin tôt ou tard, et rien n’est plus mort qu’un amour mort. Un amour mort est une carcasse avec laquelle tu devras vivre au quotidien, jour après jour, partager sa chambre et son lit, respirer son odeur de putréfaction comme celle d’une encombrante dépouille.

Tu sais, Jacopo, la douleur est un sentiment complexe et ambigu. Tu n'as pas idée de combien de fois j'ai vu pleurer mon père, après avoir trahi ma mère, je veux dire, alors que c'est ma mère qui aurait dû pleurer jusqu'à preuve du contraire, non ?

Sa mère était malheureuse, son père était un con, elle n'avait ni frère ni sœur, même le chat l'ignorait. Pour ce qui était de l'amitié, elle avait du mal à se lier, elle se méfiait. Son nom de famille lui avait-il causé un dommage psychologique irréversible durant son enfance ? L'avait-il prédestinée ? Car, en réalité, Troya-la-truie était effectivement un peu salope sur les bords, baisant plutôt facilement ; elle était douée, sauf qu'elle ne demandait pas d'argent en échange, juste un peu d'attention.

Ou alors, était-ce justement parce que Vale était une sainte-nitouche ? Sa mère soutenait que les saintes-nitouches doivent leur succès auprès des mâles au fait qu'elles exacerbent chez eux leur rôle de protecteur, qu'elles le font se sentir importants, indispensables, irremplaçables...

Il avait conscience d'être un parfait connard, lui aussi, comme le père de Perla. Un mâle insensible à la merci de ses hormones. Tant qu'il y aura des hormones, ce sera toujours le bordel entre mâles et femelles. Et alors ? On s'en fout.