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Critique de Arimbo


Arimbo
05 septembre 2023
Le livre jubilatoire de Boulgakov le roman de Monsieur de Molière m'a donné envie de relire ses pièces.

J'ai ressorti l'Édition du Livre de Poche en 4 volumes de 1963, que j'avais en bonne partie laissé dormir durant 60 ans. Et découvert, avec étonnement, les soulignements, paraphés encadrés, notes manuscrites que j'y avais laissées. Était-ce pour la première partie du Bac que l'on passait alors en Première, dans les années 1960? . Je ne me souviens pas.
Ça m'a fait penser que le grand Molière vaut bien plus que d'être un auteur pour manuels scolaires. D'ailleurs, sa relecture que je fais « en pointillés » m'impressionne. Par les thèmes qu'il choisit, je me dis que, même s'il était plus ou moins protégé par le grand Louis XIV, il était bien courageux, le Molière, de s'attaquer, entre autres, aux dévots hypocrites, aux médecins incompétents, aux vieux barbons tenant les jeunes filles sous leur domination, aux snobs et aux snobinettes, aux bourgeois prétentieux. Et que beaucoup de ces travers sociaux sont toujours présents et ce serait toujours dangereux d'en aborder certains (qui oserait de nos jours faire une pièce comique sur les talibans, sur le traitement des femmes en Afghanistan? Et sur les évangélistes en Amérique?).

Parmi toutes ses pièces, le Dom Juan m'a toujours fasciné.
D'abord parce que j'ai le souvenir fort de la version télévisée de 1965, tournée en extérieur, avec Michel Piccoli et Claude Brasseur dans les rôles de Dom Juan et de Sganarelle. La beauté de la mise en images, l'interprétation des acteurs (Piccoli, un Dom Juan hautain et cynique, Brasseur un Sganarelle moralisateur et lâche), ça ne s'oublie pas.

L'autre raison, soulignée par beaucoup sur ce site, est qu'elle est à la fois une tragédie et une comédie, ce qui est unique chez Molière, encore que d'autres pièces comme le misanthrope sont plus grinçantes que comiques.
Dom Juan est une pièce sombre dans laquelle Dom Juan s'affranchit de toutes les règles, méprise les humains, femmes et hommes, défie Dieu, jusqu'à son châtiment. Et une pièce comique, par exemple les savoureux dialogues patoisants entre Pierrot et Charlotte au début de l'acte II, celui de Dom Juan avec son créancier, Monsieur Dimanche, ce dernier n'arrivant pas à placer un mot, etc…

J'ai été encore une fois impressionné par cette pièce de théâtre.
Par les thèmes qu'elle aborde de façon subtile:
Le « donjuanisme ». Cette attitude,que l'on considère de nos jours comme pathologique,est remarquablement décrite par Molière. Ce n'est pas tant de posséder les femmes, de jouir d'elles, que la volonté folle, effrénée de conquêtes, boulimique, addictive dirait-on de nos jours. En fait, c'est l'ivresse de l'entreprise qui est désirable, plus que le résultat; avec l'étrange obsession: je cherche à trouver celle qui me résistera. Dom Juan ne va-t-il pas jusqu'à dire cette phrase insensée: « Je souhaiterais qu'il y eût d'autres mondes pour pouvoir y étendre mes conquêtes amoureuses ». Notons que cette mégalomanie de la conquête, ici amoureuse donc plutôt bénigne, on la retrouve en bien pire dans l'Histoire chez les grands conquérants: Alexandre, Napoléon, Hitler,…., et de nos jours chez un Poutine, ou….chez un Elon Musk.
Le refus de se plier à toute contrainte sociale. le rang aristocratique que Dom Juan occupe dans la société justifie selon lui,qu'il ne soumette à aucune exigence, telle celle de payer ses créanciers, ou tout simplement de tenir sa parole. Est-ce une critique des nobles qui refusaient de se soumettre à l'autorité de Louis XIV? Je ne saurais le dire. En tout cas, et de la part de Molière, je dirais que c'est « bien vu », le seigneur Dom Juan n'hésite pas à prêter main-forte à ceux qui sont nobles comme lui, ici Don Carlos, le frère d'Elvire que Dom Juan a abandonnée.
Le refus de se soumettre à l'autorité divine, et même la volonté de la nier. Dom Juan n'est pas un athée, à proprement parler, mais un homme qui se considère comme l'égal de Dieu, qui défie Dieu, ce qui le conduit à sa perte. Mais, je trouve, Molière laisse planer le doute. Dans sa volonté farouche d'étreindre son destin, Dom Juan est-il un impie, ou un héros? La question reste ouverte. Certes, les dernières phrases dites par Sganarelle, soucieux uniquement de savoir « qui paiera ses gages » , désamorcent le geste provocateur et fou de Dom Juan qui le précède, mais on se dit quand même « Qu'en pense vraiment Molière, de l'attitude de Dom Juan? », et, en ce qui me concerne, je suis bien en peine d'avoir la réponse.

Dans la pièce, aussi, Sganarelle fait un bien curieux valet, comme une sorte de contrepoint aux actions de Dom Juan, un valet qui sermonne son Maître, mais pas trop, de peur de prendre des coups ; un hypocrite qui dit pis que pendre de son Maître hors de sa présence, et le contraire quand il est là.
Un bien étrange tandem que ces deux là, qui ont besoin l'un de l'autre, et où je me suis demandé si Sganarelle ne prenait pas un plaisir obscur aux actions de son Maître, du moment où il n'y était pas impliqué, lui, et si Dom Juan n'aimait pas un valet qui lui résiste,et auquel il pouvait se confier.

Il y aurait tant d'autres choses à dire: le thème de l'hypocrisie à nouveau évoqué après le Tartuffe, la critique du beau-parleur manipulateur, etc…
Et pour terminer il y a l'écriture, si belle, avec de temps à autre, dans cette oeuvre en prose, des alexandrins cryptés. C'est un régal de lire à haute voix certaines tirades.

En conclusion, une oeuvre subtile, équivoque, d'une grande profondeur, et d'une incroyable modernité.
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