Critique à l'encre rouge d'un roman à l'eau de rose:
Rien qu'à voir le synopsis en quatrième de couverture, on sait à quoi on s'attend : un roman de province qui sent le sur-éloge de son pays à dix mille lieues, avec une histoire d'amour comme on en trouve dans chaque bouquin d'écrivain régional…
Tout ressemble à du déjà vu, du refait. La jeune fifille de Paris, Julia, qui rentre au pays après ses malheurs à la capitale où elle est partie faire ses études. Quels sont-ils ces malheurs ? Oh simplement Julia, petite élève de prépa, découvre qu'elle est une femme et qu'elle a des envies : « La course aux hommes devenaient de plus en plus dure et cruelle » (p.73). Puis l'étape suivante est plus crue, on tombe dans le pathos direct sans que cela soit bien amené, ou travaillé. Sylvie Monange nous balance tout d'un seul coup, comme pour bien nous choquer : « Quand Alexandre s'est tué, j'étais dans le métro, je revenais de chez le médecin et j'allais lui apprendre que j'étais enceinte. » (p.76). La pauvre Julia cumule les malheurs qui lui tombe sur le coin de la gueule, à mesure que le bouquin, lui, nous tombe des mains…
Mais ce n'est pas tout, les malheurs continuent de poursuivre Julia dans sa campagne bretonne : elle manque de se faire violer dans une ruine, deux pages plus loin après qu'on ait appris le suicide de son ex-compagnon, Alexandre. Heureusement, le copain de son nouvel amant vient à la rescousse et sauve la petite Julia en détresse… Dans ce roman, il faut bien noter que la femme apparaît comme un être fragile, fébrile et qui doit être protégé par le mâle si elle veut survivre. L'intervention de Morvan au moment de la tentative de viol n'en est que la manifestation la plus explicite, car l'histoire du roman elle-même véhicule cette idée : Julia parvient à fuir son passé lorsqu'elle rencontre Jean à qui elle s'abandonne… À l'Ancre bleue, c'est le roman antiféministe par définition. L'image de la femme, faible et impuissante qui y est véhiculée participe à répandre les clichés phallocrates qu'on essaie pourtant aujourd'hui de faire disparaître dans la littérature. Sylvie Monange semble donc participer, à la manière de Christine Angot, à véhiculer l'image de la femme comme être inférieure à l'homme, qui a sans cesse besoin d'être protégée par le sexe fort ; là où d'autres comme Anna Gavalda cherche à l'inverse à jouer avec les codes que la société a imposés aux sexes pour bousculer nos positions et nous déstabiliser.
Jouer avec les codes, Julia cherche à le faire, mais surtout elle se cherche elle-même. Cependant on demeure au premier stade des questionnements intimes et encore une fois, cela est amené de manière extrêmement maladroite et ambigüe. C'est parce que son nouvel amant, Jean, le décide, qu'elle en vient à se faire une coupe garçonne. Ce n'est toujours pas son propre choix, mais celui de l'homme. Julia se questionne alors et est toute émoustillée : « Pourrais-je passer pour un tout jeune homme ? L'idée m'amuse et me trouble » (p.151). Éveil des questions sur le genre et la sexualité donc. Mais cette réflexion qui aurait pu être intéressante est tout de suite balayée par le reste de la phrase : « tromper tout le monde sauf un homme, mon amour, le seul à savoir ma douceur. » Voilà qu'on retombe dans le pathos amoureux classique et débilitant. La femme soumise à son homme, à ses désirs et à ses délires.
Tout le long du roman, on accède aux pensées de Julia qui écrit dans ses « cahiers », telle une enfant qui écrit dans ses petits journaux intimes de différentes couleurs… On infantilise d'autant plus la femme dans ce roman du fait que les pensées de Julia sont celles d'un enfant qui ne sait pas ce qu'il veut : être avec Jean, être seule, vouloir le retrouver, etc. Julia pleure la moitié du roman, avec les pires clichés possibles, au fond de son lit, seule, alors que son compagnon dort tranquillement à côté et finalement vient la prendre dans ses bras pour la réconforter… Avec en plus de ça, cette incessante métaphore de la mer agitée qu'on retrouve tout au long du roman dès que l'occasion se présente : « Alors je suis prisonnière du mort, en enfer et je pleure d'avoir si mal, car lorsque la douleur commence à entrer à moi, c'est comme une irrésistible marée qui monte, vague après vague, jusqu'à ce qu'enfin elle touche la falaise et noie tout la plage sous ses eaux de varechs arrachés. » (p.80).
Encore si les métaphores avec la mer s'arrêtaient là… mais non : on a de belles allusions sexuelles bien salaces ! Mais si, voyez : « j'ai marché parmi les fougères luisantes de pluie, et les goémons vernissés, dans l'odeur de la mer, jamais aussi impudique qu'en ces jours : grande prostituée, de toute la force de son désir, elle se dénude, se retrousse plus haut que le nombril, ivre, folle, offrant aux yeux de tous son sexe entoisonné, tout humide. Les vents les plus violents la fouettent, l'assaillent et la tempête alors se lève et se déchaîne jusqu'au plein assouvissement de la marée haute. Ensuite c'est le reflux épuisé, et les dunes et les grèves sont jonchées des traces du combat : vêtements arrachés, déchirés, loques, lambeaux, couvertures repoussées, tombées, grand désordre. Rien ne sera rangé : elle redescend, déjà elle se concentre et reprend force et vie. Ce sont journées de rut. » (p.95) Sans commentaire.
Dans son roman on sent bien que Sylvie Monange cherche à questionner la sexualité, la liberté sexuelle, etc. Mais là encore, c'est tellement maladroit. Ça la travaille, la Julia, mais le problème, comme on l'a indiqué plus haut, c'est que tout reste sous la domination du mâle : on est dans le cas typique de ces pseudos soixante-huitard ayant revendiqué la jupe mais qui s'offusque quand il voit défiler la Gay Pride. En témoigne la scène olé-olé du roman, c'est-à-dire quand Julia se fait prendre dans le phare : là, oui, clairement, on est dans la question de la liberté sexuelle ! Voyez plutôt : « Doucement, il m'a embrassée, longuement, lentement. Puis il s'est mis à me déshabiller, et j'étais debout, en pleine lumière et nue devant lui. C'était sur toute ma peau que je sentais la chaleur du phare, et Jean qui me regardait, un peu éloigné. […] Exposée, j'aurais voulu qu'il y eût des gens, tout en bas, dans l'ombre, pour nous voir ainsi. Et puis Jean a ouvert les bras et je me suis jetée contre son corps. » (p.93)
Alors voilà, Julia découvre son corps, sa nudité, ses fantasmes, etc. Mais toujours retombe dans les bras de son amant qui mène la danse. Et toujours la métaphore tant attendu : « La mer montait. J'entendais chaque vague explorer, un peu plus forte que la précédente. L'écume jaillirait bientôt aussi hait que le phare, nous allions être engloutis sous la poussée tendre et violente des eaux. Il n'y aurait plus qu'un lac tranquille, où tout serait noyé. » (p.94) Bref, on s'abstiendra de relever la métaphore phallique et les liquides qui en découlent…
Notons également que l'on va retrouver tout au long du roman des passages narratifs tout à fait répandus et bien clichés. D'abord, les histoires enchâssées, comme on les rencontre dans les romans pastoraux, avec des renvois au passé de Julia et aux histoires avec son ex-compagnon qui s'est suicidé en avalant le contenu d'un encrier…Puis c'est le passé de Jean qui nous est conté, avec le sort de sa soeur qu'il a perdu… Enfin ce sont les malheurs de Morvan qui nous sont présentés, avec la mort de sa femme, etc. Et bien sûr en arrière fond, comme dans tous les romans régionaux, on nous rappelle quelle était la situation du pays pendant la Seconde Guerre mondiale, avec là aussi le passé de « résistant » de Morvan (p. 109). Mais on nous raconte aussi bien d'autres histoires, gratuitement, pour le plaisir, sans qu'on comprenne bien pourquoi : l'histoire de Jean des Pierres qui fabrique son mur (p.140), ou encore celle des moines de l'abbaye de la Côte Sauvage (p.132), etc. C'est comme si Sylvie Monange avait fait une compilation de toutes les petites histoires de la Bretagne qu'elle connaît et les avait incorporées à son roman pour nous faire un joli melting pot…foiré.
Il faut aussi s'arrêter sur les moments de divagation du narrateur à propos de l'écriture… On a droit à toutes les réflexions possibles de Julia quand elle écrit. Et en plus de ça, on nous plaque des références gratis au beau milieu de son cahier : « Je me rappelle l'histoire du maître d'écriture. » (p.113). Et voilà Julia qui se met à nous raconter l'histoire de ce fameux (ou pas) maître d'écriture… Encore une fois : c'est bien trop maladroit, trop mal amené. Et ses délires sur l'écriture sont en plus additionnés à de vrais délires : la pauvre Julia voit ses affaires être mis en vrac, elle retrouve des mots signés par les initiales de son ex-compagnon décédé, Alexandre… Après le roman pastoral, et le roman historique, le fantastique intervient !
Et enfin Julia nous explique « qu'il était urgent de le terminer » (p.154), son cahier. On nous sort le coup de l'urgence de l'écriture… Mais Sylvie Monange aurait mieux fait de prendre tout son temps pour l'écrire ce roman, vu ce qui nous est servi… Rien ne sert de courir. Cela éviterait de nombreuses phrases qui se veulent brillantes, mais qui nous éclaire seulement sur le fait que ce roman n'a rien à nous apprendre : il ne nous est pas destiné, en réalité Sylvie Monange écrit pour elle, et elle est la seule à pouvoir comprendre la logique de son roman ainsi que les phrases du type « le futur s'écrira au passé sur les pages qui me restent encore à remplir. » (p.154). C'est ce que l'on constate aussi quand Julia nous fait une énumération, supposée être drôle semble-t-il, ou elle détourne un proverbe qu'elle décline sous différentes formes sur toute une page… « c'est en lisant qu'on devient liseron » (p.157) Oui : Sylvie Monange a peut-être trop lu, et est devenue cette plante envahissante qui étouffe les auteurs en se nourrissant de leur oeuvres mais qui en même temps tue la littérature… Face à cette plante indésirable, cette mauvaise herbe, il ne faut pas prendre de gants pour l'arracher, mais carrément sortir le Roundup et en badigeonner ce pavé imbuvable (comme l'encrier d'Alexandre !) pour mettre un terme à cette littérature porteuse de bovarysme. Sortez donc votre Roundup : critique, pamphlet et autres manifestes, pour combattre ce chiendent, avant que la véritable littérature ne mange les pissenlits par la racine. Commenter  J’apprécie         50