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Critique de Djolyen


Où est le vrai, où est le faux, dans "Francis Rissin"? Où commence sa fiction? Quel chapitre du texte en est sa genèse, sa première pierre, et quels autres en découlent? Sans doute aucun. Ou tous. Y a-t-il une clef de lecture? Des affiches scandant le nom de Francis Rissin sont-elles réellement placardées dans tous les bleds de France? Ou n'est-ce qu'une épopée imaginée par des ados embrumés par les pétards? Francis Rissin est-il Président? Ou juste un personnage? Ou un mort? Un homonyme? Les flics sont-ils lancés aux trousses des colleurs? Ou de Rissin? Ou de tous à la fois? Ou d'aucun? Et peut-on se fier aux recommandations d'auteurs célèbres sur la 3e de couverture? Et aux chroniques de presse ou aux notes de librairies? Sont-elles, elles aussi, fictionnelles?

Brouiller les pistes, Martin Mongin le fait admirablement. Dans ce roman de 650 pages se tisse une toile inextricable. le lecteur ne reçoit aucun fil d'Ariane pour s'extirper du labyrinthe intertextuel entre ses différentes parties. Chacune singe un genre littéraire: essai philologique, polar, interrogatoires et rapports policiers, actes de colloque, biographie, journal intime, évangiles, analyse psychiatrique, script... Toutes gravitent autour d'une figure incontournable, mais dont ne se dévoile rien ou presque: un certain Francis Rissin, homme providentiel qu'attendait la France pour enfin relever la tête. Ou couler définitivement. Ou aucun de deux.

Ce qui frappe, et c'est admirable, c'est à quel point rien de tangible ne ressort du texte. Il ne se passe à peu près rien. Tout le roman n'est que vaine tentative d'approcher un fantôme. L'auteur louvoie. Rissin n'est qu'une silhouette floue, évanescente. Un profil de timbre-poste. Que fait-il? A quoi ressemble-t-il? Jamais personnage de fiction n'a été si peu défini tout en étant si omniprésent. Fascinant! Tout juste le "journal" qui lui est attribué dévoile-t-il une idéologie réac bien nauséabonde, qui pue la France de 2020. Autour de lui gesticule toute une population de personnages secondaires, à moins que principaux? Personnages que, pour encore davantage emberlificoter son lecteur, Mongin nomme parfois d'un nom identique, incitant aux va-et-vient. Il va même jusqu'à s'auto-citer. Mais quand on repère ces récurrences, on déchante vite: on n'est pas plus avancé.

Mongin se joue de nous. Pourtant, son livre se lit comme un thriller. On tente de terminer le puzzle (mission impossible tant les pièces manquent). Tout ça dans un décor inédit de France profonde, amoncellement de cartes postales jaunies, de villages perchés et de rues principales désertées. Les toponymes pittoresques s'amoncellent comme sur la carte du Tour de France. Tout comme les anthroponymes du crû. Une vraie pastorale.

Des 11 chapitres, sans doute certains se dégagent-ils. le premier, cours universitaire, donne les clefs de la suite en annonçant la couleur: il s'agira d'intertextualité. Gardons-le à l'esprit. Il y a ce polar caricatural, les dogmatiques témoignages des "disciples" de Rissin, les brèves de journaux locaux alternant découvertes d'affiches par la population et ressentis des autorités. Surtout, il y a le vaniteux grand soir de ce commissaire d'expo, jouissif, avec son name dropping de mascottes publicitaires. Et plus jouissive encore, l'épopée héroïcomique de Francis Rissin et Francis Rissin, Bouvard et Pécuchet du XXIe siècle.

Alors en fin de compte, de quoi "Francis Rissin" est-il l'histoire? Certainement pas de Francis Rissin lui-même. Et Martin Mongin? Il existe, Martin Mongin? Est-il vraiment l'auteur de "Francis Rissin"? En refermant ce fantastique premier roman, admirable précis de métalittérature, tout lecteur rationnel en doutera.
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