On m'avait demandé si j'avais des envies de scarification.
J'avais du poser la question :
c'est quoi la scarification ?
On m'avait expliqué. C'est quand la douleur intérieure est si puissante qu'on cherche à la soulager en se blessant â la surface.
C'est écrire sur sa peau ses idées noires et faire saigner son corps avec les griffes de son coeur.
J'avais donc compris pourquoi Pauline et Cynthia cachaient leurs avant-bras même quand il faisait chaud.
Les filles restent des heures parfois à choisir un filtre sur Instagram. Elles hésitent mille ans. C'est toujours trop ceci ou pas assez ça. Ça n'est jamais bien, jamais ''assez mieux'' que la photo originale. Elles sont fatiguées, elles aussi, je m'en rend bien compte. Puis elles ont peur. Chaque selfie qu'elles publient sur leur profil est peut-être celui qui leur fera subir l'humiliation suprême de n'être pas ''liké'', pas validée, par le tribunal virtuel de la beauté. Je n'ai même pas l'impression que les garçons trouvent ça particulièrement attirant. A mon avis ils en ont marre aussi de tout ce cirque. Ils sont bombardés d'images et de photos censées les exciter. Mais si ça se trouve ils doivent se forcer à aimer ça.
On ne peut pas raisonnablement vivre avec un corps aussi maigre que ça et presque transparent. Un corps qui donne l'impression à celui qui le regarde qu'il va se briser, partir en éclats, s'envoler. Un corps qui ne fait pas vraiment parti du monde des vivants. Au fond de moi je le savais.
(...)
Je ne voulais pas faire peur aux autres comme Jill me faisait peur.
C'était moi contre la vie.
Papa m'a serrée encore très fort dans ses bras, j'en avais presque mal. J'aurais préféré qu'il me tue et qu'on n'en parle plus.
La vie, ce n'est pas passer son temps à prouver au reste du monde qu'on a plus de volonté que les autres et qu'on est cap' de se laisser mourir de faim. Le monde a autre chose à faire que de nous comprendre et de se montrer cool avec nous. Aimant, calme, empathique. Le monde, lui, veut vivre. Il ne nous attend pas.
J'avais souvent l'impression qu'avec les garçons, tout était moins compliqué. Ils pensaient moins à leur corps, moins à ce qu'ils allaient dire, moins à ce qu'on allait dire, moins à ce qu'on allait croire, à ce qu'on allait en penser. Je pensais qu'ils s'en fichaient des apparences. Peut-être que je me trompais.
"Tomber amoureuse."
C'est tout de même étrange comme expression, mais maintenant que je pensais l'avoir vécu, je crois que je la comprenais. En fait ça n'avait rien de si follement agréable, d'être amoureuse. Ça faisait mal aussi. Ça rendait triste, vulnérable, impuissant. On ne peut rien contre un sentiment amoureux. Il nous emporte comme une vague beaucoup trop haute pour nous. Et il s'abat brutalement sur nos têtes. D'un coup. Et alors, c'est fini, on n'a plus aucun pouvoir sur la situation.
On est tombé.
Amoureux.
Les larmes ont cela de bien qu'elles parlent d'elles-mêmes.
Maman, papa. Je ne voulais pas vous faire pleurer. Mais moi aussi je pleure, et moi aussi j'ai peur.