Je suis née le 14 juin 1899, près de Saint-Pétersbourg. Il me plaît assez d'avoir pointé la tête dans l'existence à la fin du XIXème siècle, et non au commencement de ce XXème siècle qui allait devenir celui de toutes les horreurs. Le début de ma vie n'a été que bonheur et enchantement. J'étais la troisième fille d'un couple très uni et pourtant, si j'ai bien compris, mes parents espéraient un fils.Ma niannka, ma nounou, en russe, me raconta qu'après ma naissance papa était parti pour une longue promenade solitaire dans les bois pour cacher sa déception à tous, et surtout à maman, mais que, quand il était revenu, il souriait, ayant repris le contrôle de soi. Il m'embrassa et offrit un beau collier de perles à maman. Elle adorait les perles. De toute façon, mes parents ont dû faire contre mauvaise fortune bon cœur, et je n'ai pas l'impression d'avoir souffert de cette erreur de la nature.
A peine deux jours plus tôt, dans le train, je voulais mourir. Aujourd'hui, je voulais vivre. Inconséquences de l'âme humaine...
Finalement, comme pour le roi et la reine de France, l'éducation, l'habitude du pouvoir illimité constituaient la pire des maladies: comment auraient-ils pu imaginer que tous ceux qui chantaient à pleins poumons Dieu sauve le tsar en s'inclinant jusqu'à terre nous avaient abandonnés à notre sort?
Lutte contre tout ce qui pourra t'arriver de mauvais, jeune fille. N'oublie pas que l'important dans la vie, c'est de vivre!