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Critique de michfred


Comment faire son deuil quand on vient de perdre, brutalement et trop tôt,  (toujours trop tôt),   l'homme élu, irremplaçable, unique, l'amour absolu?

Lot a aimé Comète. Elle a vécu de longues années avec lui. Ils ont adopté ensemble une petite fille qui est la perfection même,  Prolix, la petite bavarde pleine de questions et d'explications, la projection idéale de ce couple exigeant et curieux,  complémentaire et fusionnel, et pourtant  si étonnamment autonome, si évidemment différent, lui, homme de parole,  elle femme d'écrit. 

Tous deux semeurs de mots.

 Comment faire son deuil d'un tel amour?

Ne pas perdre, ne rien perdre de ce qu'était Comète, ne pas trahir l'essence rare de ce philosophe qui conjurait sa peur de l'eau en apprenant à nager sur un tabouret pendant des années , avant de se jeter brusquement, un jour, dans une mer déchaînée et de nager à toute vitesse vers le large? Comment ne pas perdre sa façon de vivre, de cuisiner, de danser, toujours fredonnant, toujours dans la musique, toujours étant la musique? Comment faire pour ne pas perdre sa fraîcheur, le son de sa voix, son  goût des amis, son dégoût des voyages, sauf ceux que lui concoctait savamment Lot?
  
Comment faire son deuil?

 Sans rester momifiée dans un passé  sans retour, fermée à la vie,  comme morte au monde. Sans se tuer, sans mourir d'amour, sans refuser de vibrer, de frémir, d'écouter, de sentir.

 Comment faire son deuil et continuer à vivre? Et risquer d'oublier? de perdre? de trahir?

Sans trémolos, sans drame, sans rigueur inutile, sans exclure l'humour ni l'ironie,  sans tomber dans l'hagiographie , Imma Monso/Lot  élabore une grille qui l'empêche de s'écrouler:

"Il me faudra donc mettre de l'ordre dans ce réseau routier de mots, ne pas trop dévier, car autrement qui sait ? Un ordre simple, par exemple. Chapitres A, chapitres B. Dans les chapitres A, je parlerai de la façon dont nous nous sommes connus, de nous, de la vie avec lui. Dans les chapitres B, j'évoquerai la façon dont je l'ai perdu, la vie sans lui. Cela me servira aussi à moi comme règle simple, mnémotechnique (car je suis légèrement dans la confusion dernièrement) : A d'attachement, d'amour, A d'allégresse, A d'abri, pelotonnée tout contre lui. B de barbare, B de brutal, B de blanc, vide désertique, B de bourgeonner à nouveau. Facile à se rappeler. »

 Elle s'y tient, elle s'y cramponne, et les deux récits vont à la rencontre l'un de l'autre, jusqu'à tisser cette passerelle de mots entre le monde à la première personne ( chapitres A)  où elle a rencontré et connu et aimé et partagé la vie de Comète jusqu'à sa mort  - et le monde impersonnel ( chapitres B) où elle l'a perdu et où elle a tenté de continuer à vivre sans perdre sa lumière , en suivant les petits cailloux du souvenir, sans devenir pour autant la gardienne du Temple.

De ce cheminement d'un récit vers l'autre,  jaillira, plus puissant que jamais, l'Homme de Parole, si vivant, si charnel, qu'on se prend à l'aimer, comme Lot elle-même.

Deux êtres éclairés par l'évidence de leur amour, séparés par la mort et réunis pour jamais par les mots dits par l'un, écrits par l'autre, et inextricablement tissés entre eux comme un "réseau routier " entre la vie et la mort.

Ce livre si fort, si original,  si profondément pensé est un pur joyau. 

J'ai souvent souri, je me suis souvent arrêtée pour relire et savourer un passage, j'ai eu souvent les larmes aux yeux.

Je suis sûre de le relire. Il va m'accompagner, il a  encore beaucoup à me dire,  je le sais.

Je le ressens comme nécessaire .  Comme on a besoin de croire au soleil au coeur d'une nuit profonde.

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