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Critique de domi_troizarsouilles


Voici un nouveau représentant du genre désormais tellement à la mode du « cosy mystery ». Pourtant, cet opus m'a semblé tellement différent d'un Agatha Raisin (qu'on ne présente plus) ou des Dames de Marlow de Robert Thorogood (lu récemment) ou encore des « Rendez-vous avec… » de Julie Chapman, que j'ai eu envie de revérifier ce qu'est un cosy (ou cozy, avec z, apparemment) mystery.

La définition wikipédesque n'étant disponible qu'en anglais, et parce que je n'ai pas envie de jouer à la traductrice maintenant, je vous propose un article, en français celui-là, qui décrit très bien la chose je trouve – en tout cas, ça correspond réellement à la version anglaise de Wikipedia (dont je vous donne la référence à toutes fins utiles, consultée ce 6 septembre : https://en.wikipedia.org/wiki/Cozy_mystery ). Revenons donc à cet article en français : je ne cite que des extraits, consultés ce même jour, mais il est assez intéressant et se trouve ici : https://alivreouvert.net/2019/10/21/genre-litteraire-focus-sur-les-cozy-mysteries/ : « Comme le nom l'indique clairement, les cozy mysteries sont des mystères dont la lecture évoque quelque chose de cozy. On s'y sent bien, c'est une lecture de délassement. Par opposition aux autres romans policiers, ceux-là ne cherchent pas trop à aller vers un trop grand réalisme. Exit les bains de sang, les descriptions détaillées des scènes de crime ou de violences. Aucune trace non plus de sexe, de drogue ou de rock n' roll. Des cadavres oui, mais sans saletés, merci bien !
Ce sous-genre a pris son essor, et les particularités sont devenues plus flagrantes. En clair, il s'agit d'histoires policières qui ont pour point commun d'être menées par des amateurs (…). Dans la majeure partie des cas, il s'agit de femmes qui n'ont pas de lien particulier avec l'activité judiciaire. (…)
Ces détectives amateurs ont tendance à arriver premiers dans de malheureux concours de circonstances. Ils/elles se retrouvent mêlés à des meurtres et finissent par se lancer dans des enquêtes pour résoudre le mystère ou venir en aide à un ami. C'est un schéma récurrent.
Autre point commun : les cozy mysteries se déroulent le plus souvent à la campagne. Ou en tout cas au coeur d'une petite communauté de personnes. Un petit village à la campagne où tous les habitants se connaissent : c'est devenu le cadre type pour ces intrigues. »

Et voilà : ce livre-ci répond bien à plusieurs des critères énoncés ci-dessus, mais seulement en partie. Ce que l'on retrouve : on a deux femmes qui n'ont pas de lien particulier avec l'activité judiciaire, qui sont dans la mire de Scotland Yard par un concours de circonstances dans une histoire de meurtre, et qui vont se lancer dans l'enquête pour résoudre le mystère et venir en aide à, ici, un client qu'elles connaissent à peine (un client de leur agence matrimoniale, s'entend) mais dont le sort les émeut.
Le reste est plus équivoque : d'abord, on n'est ni dans un village, ni dans un quartier où tout le monde se connaîtrait, au contraire ! On est dans le Londres de l'après-guerre, et l'autrice semble même prendre plaisir à mélanger les différents niveaux sociaux apparemment encore très marqués à l'époque, et à balader ses héroïnes à travers toute la ville ! Gwen est issue de l'aristocratie (ou du moins son ex-mari, décédé à la guerre), tandis que Sparks (car elle n'est que rarement appelée par son prénom, Iris) semble plus proche d'un milieu populaire sans être populeux, et toutes deux vont s'acoquiner avec des représentants d'une classe sociale nettement inférieure, voire interlope ; le tout, comme je disais, en se promenant à travers toute la ville, de la maison avec domestiques de la belle-famille de Gwen, au quartier des docks, en passant par la prison, où l'on se rend en tram d'où l'on observe le paysage.

Outre ces aspects de brassage géo-culturel, on a aussi un réel souci de réalisme. La ville de Londres en cette année 1946 est présentée sans se voiler la face : la ville est défigurée et porte encore largement les stigmates du Blitz, l'économie est en berne et ne reprend que très lentement, les restrictions continuent et les tickets de rationnements restent précieux et convoités. Alors, bien sûr, on n'est pas dans un drame historique : ces descriptions sont nombreuses et percutantes, mais sont surtout posées comme un décor, pas question de faire pleurer dans les chaumières avec ces parties-là.
Par ailleurs, en effet on n'a pas de bain de sang et la scène de crime est à peine évoquée. Mais les moments tendus ne sont pas épargnés, à certains passages on tremble (gentiment, mais quand même) quand on voit l'une ou l'autre de nos héroïnes en mauvaise posture ; quant au sexe, là aussi, il n'est pas étalé certes, mais il est bel et bien présent par petites touches très habilement suggérées.

Tout cela pour dire : ce livre est bien plus qu'un simple cosy mystery ! C'est un réel policier historique, certes de facture plutôt soft, on est très loin d'un thriller et les frissons ne sont garantis qu'en douceur, mais il y a un souci du détail historique évident, et l'enquête policière ne paraît pas surnager comme un prétexte dans l'étude d'un microcosme humain particulier – impression que j'ai eue à chaque lecture de M.C. Beaton, bon pour l'instant seulement un Agatha Raisin et un Hamish MacBeth, mais l'un confirmait l'impression de l'autre (et j'ai bien aimé les deux !). Ici, l'enquête est menée avec tout le savoir-faire d'un vrai, bon polar : des indices sont semés çà et là, on a des rebondissements dont certains réellement inattendus, et la résolution n'est pas celle que l'on attendait, on ne l'avait pas vue venir, et pourtant on se dit en la lisant : « ah mais oui, c'est évident ! »

Mais plus que ça, ce qui m'a réellement plu dans ce livre, c'est l'analyse fine des personnages, et bien entendu, en particulier des deux héroïnes. Elles sont aussi opposées qu'on peut l'être dans ce Londres de l'après-guerre, comme déjà évoqué plus haut. Les deux ont un passé mystérieux, évoqué plus vite pour Gwen que pour Sparks, mais des pans entiers se dévoilent au fur et à mesure que les deux, associées mais pas encore tout à fait amies, s'apprivoisent et apprennent à s'apprécier réellement malgré leurs différences. Elles sont touchantes, elles sont réalistes, elles sont comme des copines avec qui on fait un bout de chemin à travers ce livre, et qu'on n'a pas vraiment envie de quitter quand on arrive dans les dernières pages !
Et puis, aussi, elles sont féministes, mais sans que ça devienne une obsession. Elles assument leur condition de femmes dans une société encore très machiste, mais entendent bien montrer qu'elles sont capables de mener leur barque, en s'adjoignant toutefois les services d'un homme fort au besoin – mention pour Sally, aussi cliché que sympathique, bien fleur bleue derrière son apparence d'homme de main, j'ai beaucoup aimé ce personnage ! Mais donc, elles n'en font pas tout un foin non plus (comme on a tellement tendance à trouver de nos jours) ; j'ai adoré l'un des passages du début, où on relève que la féminisation de tout à tout prix peut devenir n'importe quoi, et clairement ce n'est pas cela que l'autrice recherche, malgré sa mise en avant évidente des capacités de deux femmes associées dans un monde masculin, à travers tout le livre – je cite, à la p. 57 de l'édition poche 10/18 :
« - Ah, encore une chose, dit Parham. Sur votre plaque, il est écrit « entrepreneurs ».
- En effet.
- C'est un terme réservé aux hommes, non ?
- « Entrepreneuses » eût sonné ridicule, non ? rétorqua Sparks.
- Et « entreprenantes » eût prêté à confusion. Qui nous aurait prises au sérieux ? ajoute Mrs Bainbridge. »

Bref, c'est une vraie enquête policière aux allures de cozy-mais-pas-tout-à-fait, avec un dosage idéal entre descriptions du contexte, analyse psychologique des personnages, et rebondissements variés qui font avancer (ou pas) l'intrigue. L'écriture est fluide et agréable, un vrai plaisir de lecture !
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