"Les chroniques de Bond Street" la nouvelle série de M.C. Beaton

Elle avait essayé d'aller au pub, le Red Lion, un établissement rustique à l'atmosphère joyeuse et au patron jovial. Les gens du coin l'avaient accueillie, comme toujours, avec cette singulière sorte d'amabilité qui n'allait jamais plus loin. Agatha aurait su affronter une malveillance soupçonneuse, mais pas cet accueil enjoué qui la maintenait à l'écart. Non qu'elle ait jamais su comment se faire des amis, mais les gens du village avaient une façon imperceptible, découvrit-elle, de repousser les nouveaux venus. Ils ne les rejetaient pas. En surface, il les accueillaient. Pourtant, elle savait que sa présence ne faisait pas une ride sur la surface lisse de la vie villageoise. Personne ne l'invita à prendre le thé. Personne ne montra la moindre curiosité à son égard. Le pasteur ne lui rendit même pas visite. Dans un roman d'Agatha Christie, elle aurait non seulement reçu la visite du pasteur, mais aussi de quelque colonel à la retraite et de son épouse. Tandis que là, toute conversation se limitait à " 'jour ", " 'soir ", et quelques mots sur la météo.
– Quand je vous vois vous morfondre, je n’aime pas ça du tout, dit la femme du pasteur d’un ton soucieux. J’ai l’impression que, chaque fois que vous vous ennuyez, un meurtre se produit quelque part.
– Les meurtres se produisent partout et tous les jours.
– Je veux dire dans les alentours.
« Quelle mouche t’a piquée ?
– Tu ne l’as peut-être pas remarqué, mais madame Sainte-Nitouche commençait à te faire du charme.
– Allons, Aggie, c’est juste une brave bourgeoise un peu vieux jeu.
– Continue à croire ça et tu vas bientôt te retrouver le nez sur sa petite culotte en soie.
– Ne sois pas vulgaire ! Si nous nous réincarnons tous, Aggie, je parie que tu reviendras en mouche, écrasée sur un pare-brise.
« Allez, raconte-moi ce qui se passe ici. »
Tout en vaquant à ses tâches culinaires – ôter l’emballage en carton, percer la pellicule de film alimentaire et mettre les barquettes au micro-ondes –, Agatha lui raconta tout sur les fées de Fryfam et le vol du Stubbs.
« Pas de meurtre ? s’enquit Charles. En général, là où tu passes, les gens trépassent.
Agatha avait oublié que Roy s’habillait de manière conventionnelle uniquement quand il travaillait pour certains de ses clients très vieux jeu. Elle fut donc décontenancée de le voir apparaître dans son séjour, prêt à sortir, vêtu d’une marinière noir et blanc et d’un pantalon moulant noir, le tout agrémenté d’un foulard rouge noué autour du cou.
« Tu vas sortir comme ça ?
— Où est le problème ? Tu as dit qu’on allait dans un resto français, alors j’arbore un look français.
— Tu les as vus où, tes Français ? Dans une caricature ? Et quand tu vas manger chinois, qu’est-ce que tu portes ? Un chapeau conique par-dessus des nattes ? Bon, viens ! On va être en retard.
— Vous ne travaillez donc pas pour Mr Lacey? demanda miss Simms.
— Non, il fait son ménage lui-même. Et ça, c'est pas normal pour un homme, si vous voulez mon avis.
— J'ai eu un type comme ça, une fois, dit miss Simms. Il m'a quittée pour un autre homme. Comme quoi, hein!
— Je ne crois pas que notre Mr Lacey penche de ce côté-là, glissa Mrs Bloxby.
— On ne sait jamais. Il y en a qui ne sortent du placard que sur le tard, et là, ils clament partout : "C'est ça la vraie vie!" La femme et les gamins n'ont qu'à aller se faire voir, dit Mrs Simpson.
— Chez les Grecs évidemment ! conclut miss Simms en gloussant.
– C’est Barry Briar ?
– Je ne sais pas, je ne l’ai jamais vu. Jette un coup d’œil.
– Non, je crois que je vais être malade.
– Ne touche plus à rien. J’appelle la police.
– Il faut vraiment ? Ils vont être furieux.
– Aggie, il y a un mort là-dessous. Nous ne pouvons pas nous en aller comme ça.
– Comment sais-tu qu’il est mort ?
– Quand un homme gît sur le dos, le cou tordu, le regard fixe et vitreux, il y a dix chances contre une pour que ce soit le cas.
Agatha regarda Mrs Laggat-Brown avec curiosité.
« On dirait que vous n’avez pas beaucoup apprécié la liberté que vous a procurée le divorce, Catherine. Dès que votre mari rapplique, hop ! c’est lui qui commande.
— Mais sans homme, on est tellement démunie ! C’est vrai : une femme qui n’a pas d’homme se sent si seule et si bête ! Les féministes peuvent bien dire qu’on n’a pas plus besoin d’homme qu’un poisson n’a besoin de vélo, ça m’a toujours paru plutôt stupide. Après tout, de quel droit parlent-elles au nom des poissons ? Les poissons pourraient très bien avoir envie de vélos, s’ils avaient le choix. Elles n’en savent rien !
« Comment cette vieille chouette s’y est-elle prise ? rugit Wilkes le lendemain. Comment a-t-elle su où les chercher ? Elle ne nous a pas tout dit, ça, c’est sûr.
[...]
— Agatha Raisin obtient souvent de meilleurs résultats que nous parce qu’elle ne s’encombre pas du règlement.
— Eh bien, il serait temps qu’elle s’en préoccupe. Demain, le récit de ses exploits sera dans tous les journaux. Parce que pour parler à la presse, en revanche, on peut lui faire confiance. »
– Pour moi, le véritable esprit de Noël, c’est de s’occuper des autres – par exemple des personnes âgées ou des infirmes.
– Bonne idée !
– Plaît-il ?
– Il y a beaucoup de petits vieux décatis dans ce village. Parfois, je me dis que les Cotswolds, c’est comme la salle d’attente du bon Dieu, avec une voix tombée du ciel qui dit : « Numéro 5, à votre tour, entrez. » C’est décidé, je vais leur offrir un super repas de Noël !