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Critique de fabienne2909


Avec « le voyage de Cilka », Heather Morris poursuit son entreprise de retracer le destin exceptionnel de certains survivants de l'Holocauste, déjà commencé avec « le tatoueur d'Auschwitz » dont il constitue une suite indirecte.

Cette fois-ci, elle s'intéresse au sort de Cecilia Klein, dite « Cilka », que Lale Sokolov avait évoquée à plusieurs reprises dans son témoignage, en indiquant que celle-ci était l'être humain le plus courageux qu'il lui avait été donné de rencontrer (elle lui avait sauvé la vie). Et force sera de constater dans le roman que c'est le cas : Cilka a été déportée à Auschwitz à seize ans en 1942, où elle ne devra sa survie qu'à l'innommable, soit des viols répér par les directeurs du camp, et en étant la « cheffe » du Bloc 25, le baraquement où les détenues passaient leur dernière nuit avant d'être tuées. À la libération du camp, ses malheurs ne s'arrêteront pas là puisque les Soviétiques la condamneront, pour collaboration avec l'ennemi, à quinze ans de réclusion dans le plus terrible des goulags, celui de Vorkouta. Elle y liera des liens particuliers avec la doctoresse du camp, Yelena Georgiyevna, qui l'embauchera en tant qu'infirmière. Cilka pourra ainsi y trouver un certain apaisement à l'un de ses traumatismes, puisque cette fois-ci elle guérira les malades, au lieu de les envoyer à la mort.

Je sors mitigée de la lecture de ce roman. On y retrouve les éléments qui ont fait le succès du « Tatoueur d'Auschwitz » : un personnage, Cilka, incroyablement héroïque mais qui n'en a pas conscience, qui a la chance insolente du survivant (dans ces univers concentrationnaires où le moindre petit rien pouvait vous condamner à la mort, le facteur chance jouait également un grand rôle), pour qui tout semble alors curieusement facile. Cilka comprend tout, a les bonnes informations au bon moment, fait tout bien, avec tout le monde. Cela a sûrement été le cas, mais tout comme dans « le Tatoueur d'Auschwitz », cette facilité et une certaine mise à distance des événements horribles, m'a fait me questionner sur la crédibilité de l'histoire, je l'avoue. Cette question était moins prégnante dans « le Tatoueur d'Auschwitz », car Heather Morris a pu s'appuyer sur les propos de Lale Sokolov. Elle a eu nettement moins d'éléments sur Cilka Klein, et je trouve que la part de romance se sent beaucoup plus. Et pour être franche, c'est le gros point négatif du roman pour moi, car Heather Morris n'est pas une grande romancière : si elle arrive à rendre les personnages attachants, ils relèvent d'un certain manichéisme : les gentils sont gentils – j'ai trouvé Cilka un peu lisse dans ce courage inaltérable –, les méchants sont méchants, même s'ils le sont souvent « pour cacher au fond une grande souffrance » (Elena ou Hannah, les compagnes de dortoir de Cilka, Boris, le malfrat qui la choisit comme partenaire sexuelle, ce qui était gage de protection au goulag, le prisonnier qui la menace et qui en éprouve des regrets au moment de mourir).

En revanche, le roman pose une question qui m'a parue très intéressante et importante, tout en étant maladroitement traitées parfois : ce que l'on doit faire pour survivre, et le jugement que les autres, qui n'ont pas vécu l'expérience concentrationnaire et qui ne peuvent comprendre, portent sur ces actes, comme l'a expliqué justement Gita (l'un des personnages du « Tatoueur d'Auschwitz ») à Heather Morris : « Tout le monde dit qu'elle était ceci ou cela, mais elle devait juste obéir aux SS. Si Mengele lui disait que cette personne devait aller au Bloc 25, elle devait l'accepter, vous savez ? Elle ne pouvait pas affronter tant de gens. Ceux qui n'étaient pas là-bas ne peuvent pas comprendre. Et ils n'ont pas vécu de telles épreuves. Donc ils disent, celle-là était bonne, l'autre mauvaise, mais je vous l'ai répété : on en sauve un et l'autre continue à souffrir. Personne ne pouvait sortir du Bloc 25 ». C'est une version de la « chance morale » théorisée par Thomas Nagel (être jugé moralement responsable de faits qui ne relèvent pas de son contrôle). Svenja O'Donnell, dans un récit que j'ai lu en parallèle sur la même période, « Inge en guerre » (qui traite des horreurs que les Allemandes ont vécu pendant la guerre, et qui furent tues pendant longtemps) le résume très bien : « L'impératif de survie peut conduire à des choix difficiles qui n'apparaissent pas toujours sous leur meilleur jour quand ils sont racontés. Ce processus de la narration exige un examen, une compréhension et une acceptation de ces choix » (p. 335). Heather Morris rend ainsi cette justice à Cilka, de comprendre sa façon de se soumettre en apparence pour mieux adapter aux actions nécessaires à sa survie.

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