Citations sur Dissipatio (15)
je suis, de temps en temps, phobanthrope, j'ai peur de l'homme, comme des rats et des moustiques, à cause des dégâts et des désagréments qu'il produit sans arrêt.
Ce matin, à Widmad, j'ai cassé la vitrine d'un magasin pour prendre deux pamplemousses; en ma qualité d’historien, je noterai que l'Anarchie s'est installée avec l'écroulement de son ennemi principal, le principe de propriété. Et, dans le même temps, s'est installée la Monarchie dans sa valeur la plus catégorique, tout le pouvoir à un seul. Anarchie et Monarchie coïncident , à présent, et en moi. Nul ne dispose de moi et je dispose de tout.
-Qui sait, me réponds-je. Dans toutes les représentations de la mort souffrante au-delà des flammes, on trouve le gel. Je ne me résigne pas à le croire, mais il se peut bien que je sois mort, moi aussi, comme les autres.
Et pourtant, je respire, je bouge. Il y a quelques instants, j'ai mangé du chocolat.
- IL ME SEMBLE que je respire, que je mange. C'est une illusion.,
Je suis en train de découvrir que l'éternel- pour moi qui le contemple de sur une orbite de garage- n'est que la permanence du provisoire. la dilatation extrême de l'instant, ce qui, en termes empiriques, signifie: état de différabilité absolue. J'agis, mais je ne peux pas savoir à l'avance la durée de mon action; je sais uniquement qu'elle est incalculable; je bourre ma pipe, mais quand donc serai-je prêt à prendre une allumette et à l'allumer?Le serai-je jamais?
Pour vivre poétiquement la nature, il me fallait quelqu'un à qui la disputer, quelqu'un à tenir à l'écart?
Découragement: la nature était belle et impressionnante, mais remplissait une fonction asociale. Elle impliquait , négativement, l'existence de l'homme. Je la voulais, moi, inviolée , mais violable.
Je me pose cette question: pour en jouir, fallait-il qu'il y ait des écriteaux: "Défense d'entrer?"
Je survis. J'ai donc été choisi, ou j'ai été exclu.(....)
L'alternative est absolue, mais il m'est permis de choisir. Moi, l'élu ou le damné. Avec cette particularité curieuse qu'il dépend de moi de m'élire ou de me damner. Et il faudra que je me décide. Baudelaire le mage a beau dire :"Plonger au fond du gouffre. Enfer ou ciel qu'importe? Au fond de l'inconnu..." Eh non! de la blague tout cela. Cela importe. Cela importe.
Encore un axiome qui se voit démenti: "Nous ne pensons qu'en fonction des autres". Le vieux Durkheim, un des pères théoriques du "socialisme extrême", allait jusqu'à dire que le concept consiste dans la soumission de l'individuel au social; cela serait comme si quelqu'un proclamait : les fraises des bois sont nationalisées.
Pour ma part, en tant que monade intellectuelle sans ouvertures ni charges, je ne me posais pas la question, au contraire: je rendais un hommage tacite à la bonhomie bourgeoise (garnie d'égoïsme, fourrée d'optimisme et matelassée de nationalisme) grâce à laquelle les marais sociaux se changent en petits lacs alpins bien bleus.
Partir, donc, et sans laisser de traces. cela m'a semblé essentiel. Les gens , si d'ailleurs ils devaient s'en préoccuper, concluraient à une disparition définitive. Ou mieux à une mystérieuse annihilation, à une dissolution dans le néant.
Parce que le suicide requiert un destinataire, ou des destinataires. Quelqu'un que nous décidons de punir, ou, à l'inverse, d'instruire. Ne disposant pas de destinataire, je ne puis plus me tuer, de la même façon que je ne puis plus envoyer de télégrammes.