AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de oblo


Dans un texte fragmentaire plus poétique que dramatique, Erwin Mortier, auteur belge néerlandophone lauréat du prix du Meilleur livre étranger en 2013, décrit la lente décrépitude physique et psychologique de sa mère, atteinte de la maladie d'Alzheimer. Cette décrépitude se traduit par des gestes simples que cette femme ne sait plus faire, des mots qui lui échappent, s'enfuient et s'oublient tout à fait. Peu à peu, la maladie grignote le cerveau et, partant, l'âme de cette femme qui fut mère de cinq enfants et épouse aimante d'un mari qu'elle est bientôt le seul à reconnaître. Les visages des siens lui deviennent étrangers et ainsi l'apparence physique familière ne devient plus qu'une enveloppe vide. La mère, cette victime de ce mal sournois, se cache derrière le père, son mari, qui la protège de tous ces inconnus qui l'entourent et lui veulent pourtant du bien.

Naturellement, la maladie engage une interrogation profonde sur la mort. de manière pragmatique, il faut penser à celle prochaine de cette femme, et cette mort certaine aura, ses enfants le savent, le goût amer de la libération. Pire, il faut penser à la placer en centre d'accueil spécialisé, ce qui se traduit chez les proches par un fort sentiment de trahison, d'abandon. Au-delà de l'épuisement physique de tous ces êtres, il y a une fidélité à une femme qui fut le noyau central d'une vie familiale, laquelle, comme partout ailleurs, eut ses hauts et ses bas, ses joies fugaces que l'on retient volontiers. La maladie engage aussi chez le narrateur une réflexion sur sa propre mort, qui véritablement l'obsède pendant une partie du livre et, légitimement, l'inquiète. Cette angoisse se traduit en rêves morbides et en désirs inaboutis, en un regret aussi que personne, à l'heure de sa mort, n'ait pu « noter sur un bout de papier de quoi il retourne, ne serait-ce que : c'est pas grand-chose. C'est tout de suite fini » (p. 136).

Le livre est particulièrement sobre et pudique. le langage y a une grande importance et révèle aussi son paradoxe : le langage représente l'humanité et, bien plus, l'intellect. Mais l'intellectualisation des concepts et des émotions signifie aussi une prise de distance par rapport à ces évènements si tristes et si banaux, à savoir la perte d'un proche, avec la différence qu'ici Erwin Mortier et les siens ont assisté à une disparition lente qui dura plusieurs mois. Et tandis que le fils tâche de rendre par les mots les plus justes la précision de ce sentiment horrible, sa mère, elle, perd le fil des mots qui ne jaillissent plus de sa bouche comme autrefois, mais se perdent dans le labyrinthe de son âme qui se mortifie.

La forme fragmentaire révèle enfin l'état de choc du narrateur, qui développe néanmoins une pensée cohérente en cela que son objet demeure le même, à savoir cette mère qui disparaît devant ses yeux.

L'oeuvre de Mortier oscille ainsi entre poésie et hommage filial, et résonne tendrement et douloureusement comme le chant du cygne d'une famille désormais, forcément, désunie.
Commenter  J’apprécie          30



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}