Citations sur Psaumes balbutiés. Livre d'heures de ma mère (9)
Des après - midis emplis de banquise de silence , d'icebergs de silence , tandis que je pense : si je pouvais , ne serait - ce qu'une fois encore , l'entendre dire des banalités quotidiennes .
Tu veux du café ?
Tu as faim ?
Tu restes bien manger avec nous ce soir , n'est ce pas ?
Jusqu'à quand cette pièce, cette maison signifiera-telle encore biscuit pour elle ? Ca fait si longtemps déjà que cet endroit ne signifie plus son fils, ni les chats ni Lieven.
Ca commence... mais quand commence une telle chose, quels signes sont les premiers ? Ca commence par le mot livre, le mot qui ne lui revient pas, un après-midi où elle se tient devant ma bibliothèque et me demande quand je ferai encore un, euh, tu sais bien, un... comment dit-on, si j'en referais bientôt un... et elle pose l'une contre l'autre ses mains aux doigts tendus et les ouvre et les ferme. Si j'allais encore faire, allons, bon, écrire... un de ces comment dit-on ? Elle donne un coup de coude à mon père. Dis-le, toi, tu le sais.
L'être humain est un poème difficile qu'on doit pouvoir écouter sans toujours réclamer des éclaircissements, et que le mieux qui puisse arriver , c'est l'absolution que nous donne un bien - aimé , qui nous pardonne notre état injustifiable de créature vivante et existante et ce moi accroché à nos basques qui a été dessiné et formé par tant d'autres .
Son moi disparaît . Ce quelque chose qui rend une personne si reconnaissable . Tout le répertoire d'habitudes , de façons de parler , de dormir , de marcher , de se tenir , tout change .
Que doit -on éprouver quand on voit le monde autour de soi perdre ses contours , tout ce réseau de langue ,de mémoire du langage , tendu si imperceptiblement sur les choses qu'on ne le remarque que lorsqu'il se troue ? Est - ce qu'alors tout devient flou , ou au contraire de plus en plus net à mesure que se renforce l'indicible ?
Nous laissons la vie derrière nous, comme une table à moitié débarrassée, un bureau plein de papiers, un lit défait.
Nous sommes suspendus , immobiles , impuissants, entre ce dont nous ne voulons pas nous souvenir et ce que nous ne pouvons pas regarder en face .
Je voudrais me souvenir de toi comme de la femme que tu étais avant que la maladie ait commencé à tisser sa dentelle ajourée dans ton esprit, ne pas toujours buter sur cette obscurité, sur le linceul grinçant de ta douleur et ta souffrance infinie.