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Critique de Levant


"Il y a dans une enquête un moment fatidique où un élément soudain modifie entièrement la perspective. Tout devient plus clair, les événements changent de sens, les liens apparaissent, manifestes." (page 548 – éditions Presses de la cité).

Il y a aussi à mon sens, de lecteur friand de ce genre littéraire, deux ingrédients qui font la valeur d'un roman construit sur la base d'une enquête policière : la faculté son auteur à me tenir en haleine, à me rendre captif de son intrigue, et puis, et surtout, l'ingéniosité de son dénouement. De poids inégal en terme de chapitres dans l'ouvrage, ils marqueront toutefois autant mon esprit l'un que l'autre. Il est cependant difficile d'évoquer le dénouement d'une intrigue sans en rompre le sortilège. Aussi bien sûr n'en ferai-je rien.

Une chose est certaine à mes yeux, les coïncidences tuent l'intrigue. Aussi bien d'ailleurs que la "happy end", une figure d'optimisme imposée, une faiblesse de l'auteur en quête d'amour de la part de son lecteur. De coïncidence, il en est d'ailleurs question dans le corps de l'ouvrage de Kate Morton. A-t-elle voulu s'en absoudre par précaution ?

J'ai fait la connaissance de cette auteure avec son dernier roman, L'enfant du lac. J'ai très vite perçu chez elle une grande facilité à noircir des pages d'un digeste bien tourné. J'en veux pour preuve les nombreuses digressions qui ne servent l'intrigue que de très loin. Mais Kate Morton est pardonnée. Ses digressions ne font pas qu'épaissir le livre, elles immergent le lecteur dans un contexte toujours plus vaste, plus précis dans les origines de tel ou tel personnage, les causes de tel ou tel événement. Elle nous sert un texte aux descriptions nombreuses et évocatrices, propres à dépeindre les atmosphères, les ambiances, les décors. Couleurs, senteurs, sonorités, rien n'échappe à la sagacité de Kate Morton pour ancrer les scènes dans le vivant. Elle est à n'en pas douter une grande observatrice de ce monde et des gens qui le peuplent. Je la vois scruter, disséquer, analyser, enregistrer tout ce qui sollicite ses sens et sa sensibilité.

Le risque avec pareil souci du détail est de provoquer certaines longueurs. C'est un roman qui prend son temps pour installer son énigme. Mais ces longueurs sont recherchées. Et Kate Morton s'attache à les compenser avec profit à la fois par le confort de lecture dans lequel elle place son lecteur et par son perfectionnisme dans l'interprétation des états psychologiques des personnages. Elle a aussi une façon très particulière d'amener un événement, d'introduire un personnage. Jamais directe, toujours en situation, pris sur le vif, comme interpellés dans la vie courante, arrêté dans leur geste. C'est très habile, confère fluidité et réalisme au texte.

Sa construction du scenario est aussi très élaborée. De nombreux renvois vers des époques distantes de plusieurs décennies font osciller l'intrigue entre la survenance des faits condamnables et leur élucidation. En position de narratrice extérieure, elle affiche une certaine maîtrise de son art. Elle va jusqu'à faire oeuvre de pédagogie vis-à-vis de son lecteur, en divulguant la recette d'un bon polar : "une énigme, une intrigue complexe, subtile, destinée à égarer et déconcerter les lecteurs". (page 315) Kate Morton s'est appliquée à elle-même cette recette. Cela fonctionne plutôt bien dans ce roman. L'ouverture de nombreuses pistes et hypothèses disperse à souhait les velléités du lecteur d'échafauder sa propre conclusion. Il sera en revanche peut-être plus déconcerté par celle que lui délivrera l'auteure. C'est en tout cas ce que j'ai ressenti.

Voilà un roman écrit par une femme, dont les protagonistes principaux sont des femmes, et dans lequel les hommes sont plutôt bien traités quant à leur réputation. Goûtons notre plaisir. Kate Morton leur prête une grande noblesse de coeur. Il y a dans ces personnages une forme d'idéal masculin propre à réconcilier les tenants du féminisme avec les représentants du sexe dit fort.

Toutefois, en contre partie d'une énigme bien ficelée, certains artifices de construction pénalisent un peu la crédibilité du scenario. Je citerais le grand écart imposé par les sept décennies qui séparent la survenance de l'énigme de sa résolution. Il oblige à conférer aux personnages qui auront vu se dévoiler puis se résoudre cette intrigue une maturité précoce dans leur jeunesse et lucidité persistante le grand âge venu. Les enquêteurs de l'époque n'ont quant à eux pas eu la même perspicacité pour laisser échapper des indices retrouvés soixante-dix ans plus tard sur les lieux même du forfait. Je ne crois pas beaucoup à la résolution d'énigme avec un décalage de plusieurs décennies dans le temps, sauf à faire intervenir des techniques modernes de police scientifique inconnues de l'époque des faits, ce qui n'est pas le cas dans cet ouvrage. Mais soit, les données sociales et culturelles de l'époque ont très bien pu quelque peu faire coaguler les conclusions de l'enquête sur des contingences n'ayant plus de valeur de nos jours.

On comprend bien qu'avec cet ouvrage Kate Morton veut nous délivrer "un vrai roman policier avec une résolution ingénieuse que personne ne devinera avant la révélation finale" (page 298). Résolution ingénieuse ? Je vous laisse apprécier. Une chose est sûre, on s'accroche jusque là. C'est un roman pudique, bien écrit, qui ne verse pas dans l'extraordinaire. Tout juste fait-il appel parfois au rêve devenu cauchemar lorsqu'issu d'un traumatisme. C'est appréciable à notre époque de la surenchère dans le sensationnel. J'ai quand même été piégé dans ma curiosité jusqu'à ce fameux dénouement et passé un bon moment de lecture.

Merci à Babelio et aux Presses de la cité de m'avoir fait découvrir cette auteure.
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