Voyage à Pitchipoï

Ok

"Cette maison d'accueil fut comme un bateau qui nous aurait recueillis en plein naufrage."
"Comment pouvais-je douter de son identité, alors que nous étions l'ombre l'un de l'autre."
"Sans doute y avait-il dans ce jeu une réminiscence des sorties définitives qui avaient lieu à Drancy, aussi sur des civières, et qui étaient celles des suicidés que l'on éloignait vite des regards de ceux qui agissaient à ces actes de désespérance."

On se jeta sous un vieux tapis, serrés l'un contre l'autre. J'avais l'impression d'entendre des camions dont le moteur tournait sans cesse près de nous. Comme le camion qui avait emmené mon père et mes oncles.[...] qui fouillaient les moindres recoins et les violents coups de bottes qui faisaient vibrer le plancher, les coups de bottes dans tout...jusqu'à ce qu'ils me touchent et que je crie.

Le 11 novembre 1942, les Allemands envahirent la zone Sud. La zone libre n’existait plus. Le climat devint plus tendu, les risques considérablement accrus.

Elle apprit incidemment qu’un bateau allait prochainement partir pour l’Amérique pour y emmener des enfants juifs, et les soustraire aux risques encore imprécis mais réels qui pesaient sur eux. Elle s’adressa à la Croix-Rouge pour demander que nous fassions partie de ce voyage.

Nous étions dans un grand dortoir où il y avait beaucoup d’enfants. On dormait dans un vrai lit dont le confort, au début, nous empêchait de trouver le sommeil. Nos lits étaient côte à côte. Le miens était près de la porte d’où, la nuit, filtrait une lumière rassurante qui nous permettrait de nous voir et m’assurait, dans la pénombre de la réalité de notre situation. J’étais très content d’avoir cette place. Il y avait toujours des enfants qui s’agitaient et criaient. Ma sœur était encore de ceux-là, et l’espace si réduit qui nous séparait me donnait la possibilité de la faire sortir doucement de ses cauchemars.

On parlait souvent d’un endroit où nous irions peut-être après Drancy, qui s’appelait Pitchipoï. Peut-être y retrouverions-nous nos parents ? C’était un lieu mystérieux où certains étaient déjà partis, mais personne ne semblait en avoir de nouvelles. C’était à la fois la promesse de la liberté et l’angoisse de l’inconnu. Pitchipoï revenait souvent dans les conversations. On était toujours un peu en partance pour Pitchipoï.

La porte s’ouvrit brutalement et ils entrèrent dans ce petit grenier où l’on pouvait à peine se tenir debout. Au travers du tapis je voyais les faisceaux des lampes qui balayaient la charpente et le sol, qui passaient sur nous et recommençaient. Ils parlaient très fort et donnaient des coups de botte dans tous ce qui était à leur portée. Ils étaient tout près de nous. Je ne respirais plus. Je croyais mourir. Puis ils repartirent en traversant la chambre ou ma sœur dormait calmement. On restait serrés l’un contre l’autre, bougeant à peine, à l’écoute du moindre bruit, attendant un signe de leur départ.

Dans la nuit de ce « jeudi noir » du 16 au 17 juillet, commençait à Paris « la grande rafle du Vélodrome d’hiver » exécutée par les forces de police française sous contrôle de l’occupant : 13000 Juifs furent arrêtés dont plus de 4000 enfants. Les organisateurs allemands de ce guet-apens de masse avaient baptisé cette opération du nom poétique de « Vent printanier ».

Ma mère monta les escaliers. Elle m’expliqua que mon père et mes oncles étaient partis, que l’on était venu les chercher pour aller travailler quelque part. Je lui demandai s’ils avaient pris une valise et si elle leur avait donné de bons vêtements.