Petite Lisa

Un papillon aux ailes blanches tachetées de brun s'approche d'elle, vole en arabesques et se pose sur l'éperon bleu d'une corydale. La jeune fille s'amuse à le voir forcer l'entrée de la fleur pour en puiser le suc.

Elle chante un peu plus fort et, comme à chaque fois que ces notes lui reviennent, elle pense à leurs escapades dans la campagne bourguignonne, à leurs haltes près des cours d'eau et à ce tapis d'herbe fraîche où elles aimaient finir leur course. Lisa chante le vent qui fait danser les feuilles dans les arbres et chasse les nuage, jusqu'à l'arrivée du mode majeur...

Elle restent ainsi silencieuses, tendrement enlacées, sous les frondaisons du grand sycomore, sous la lente course des nuages de ce jour sans vent et sous l’infini du ciel.

- […] Mais un témoignage n’est jamais un gage d’authenticité. C’est une déclaration subjective de ce qu’on a vu, entendu, vécu ou perçu.

...
Lisa comprit que Simone ne luttait plus et prit conscience par la même occasion qu'il n'y avait aucune issue : elles étaient toutes là pour mourir. Cette vision de sa propre mort, qui lui apparut en une pensée lucide, nette et tranchante, comme la certitude d'un vif état de conscience, la déchira. Rares étaient celles qui gardaient le moral. Certaines étaient si lasses qu'elles espéraient même chaque soir que le mort les fauche pendant leur sommeil, d'autres préféraient décider du moment où elles courraient à la rencontre des balles, d'autres enfin sombraient dans la folie. Lisa fut de celles-là.


(P138-139 Éditions du Seuil)

Un témoignage n’est jamais un gage d’authenticité. C’est une déclaration subjective de ce qu’on a vu, entendu, vécu ou perçu.

"Récite-moi un poème." Lisa s'exécutait, sans réfléchir, et c'était chaque fois une respiration de l'âme : elle éprouvait un véritable soulagement à énoncer plutôt qu'énumérer. Elle se dirait plus tard que cela tenait sans doute beaucoup à la cadence et au souffle de la pensée : elle pouvait régler sa respiration sur la prosodie alors que le rythle effrené des calculs l'exténuait.

Leurs brodequins ferrés frappaient furieusement le parquet tandis qu'elles se poursuivaient en cercle autour de la table de travail. Comme souvent, Lisa finit par se saisir de sa soeur et la plaqua au sol. Elle s'assit à califourchon sur elle, en prenant bien soin de coincer ses bras avec ses genoux, et se mit à la chatouiller.

Un jour, il se munit de larges bocaux et emmena au bord d'un bassin alimenté par le ruisseau du Raines afin qu'elles y pêchent des larves de libellules. Elles les élevèrent en aquarium, soulageant inlassablement leur voracité à l'aide de petits insectes et de têtards.

Elles aimaient se cacher derrière le chêne chevelu, écraser à l'automne les arilles de l'if déjà tricentenaires, ou encore se réfugier au sein des branches du ptérocaryer du Caucase, arbre à troncs multiples, dont le nom exotique fascinait Lisa.