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Critique de ASAI


Sandor Marai se paye la tête des bourgeois de Budapest, au début des années 1930.
Leurs petites manies, leur paupérisation (crise oblige), leur néanmoins attachement aux signes extérieurs de richesse, toute relative, de leur classe, leur autocentrisme, leur entêtement de classe.
Le chien, Tchoutora, acheté par Monsieur pour l'offrir à Madame, est un révélateur : lui, n'appartient à aucune classe (entendre : race, Tchoutora a été cédé en tant que Puli – race spécifiquement hongroise, je conseille d'aller sur internet voir cette race, assez drôle, sorte de berger très poilu, les poils étant de deux niveaux et s'entremêlant pour finir en sorte de dreadlocks, impressionnant – mais Tchoutora en grandissant sera simplement un gentil bâtard.
Reprenons sur quelques points de détails.
Les premiers chapitres relatent les préparatifs des fêtes de Noël chez un couple, Monsieur et Madame (ils porteront jusqu'à la fin cette absence de nom, ce qui donne au narrateur mais surtout au lecteur une distance qui en fait un observateur, un chercheur en sociologie, voire en étiologie).
Dans cette famille de Monsieur et de Madame, milieu bourgeois mais désargenté – crise économique oblige – cadeaux, repas, sapin restent autant de marques sociales essentielles, existentielles. Là, la plume de Sandor Marai est une épée qui touche à chaque assaut. J'ai par exemple jubilé à la lecture de la page où le sapin décati est comparé à la tante Gisèle. L'écriture de Sandor Marai est telle que les images sont là, le sapin et la tante Gisèle. Les têtes, les couleurs et les odeurs. Tordant.
Dans cette famille, au sein de ce couple de Monsieur et de Madame, le Puli – en fait le faux Puli – arrive. Je passe sur le chapitre qui concerne la vente entre Monsieur et le gardien roublard du chenil. Là aussi, écrit il y a près d'un siècle, la scène n'a pas pris une ride.
Enfin, le chiot baptisé Tchoutora arrive dans la famille, entre Monsieur, Madame, et Thérèse la bonne. le comportement du chiot est décrit de manière très réaliste, adorable. Sandor Marai manie les degrés d'humour, et une écriture toujours précise, avec sons et couleurs, et installe le chien au milieu des humains. Les dialogues – monologues – entre le chien et Thérèse, la bonne, sont savoureux. La bonne, représentant le bon sens paysan, est la seule à pouvoir dialoguer durablement avec Tchoutora, sans se préoccuper du regard des autres.
Bref, au fur et à mesure des pages, Tchoutora se contrefiche des bienséances bourgeoises et des antagonismes sociaux. Il aboie, il urine, il jappe, il refuse la laisse, un vrai libertaire, qui ne se plie pas aux règles édictées par « ses » bourgeois.
Ce livre est une fable sur le conformisme et les antagonismes de classes dans une société archaïquement figée et pour laquelle l'introduction d'un électron libre « Tchoutora » constitue d'abord une distraction, un amusement, puis une mission, celle de l'éduquer, de l'intégrer, de le faire obéir aux règles, aux usages, de le mettre aux normes dominantes, de le rendre conforme. Enfin, le drame survient. le libertaire, le farouche Tchoutora, le sans race, répond par la violence aux violences subies, celles qui veulent le « normaliser ».
Etre conforme aux normes établies par une classe dite supérieure ou rester libre en le payant peut-être de son sang et en le faisant payer aussi aux soi-disant supérieurs. Une fable et une morale.
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