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Critique de Aquilon62


En préambule, je remercie Babelio et les Éditions du Cherche Midi pour cette magnifique découverte reçue lors de la dernière Masse Critique.

Difficile d'écrire une critique qui soit le reflet réel de ce que l'on ressent une fois la dernière page de ce livre tournée
Ce sentiment de refermer, de mettre non pas un point final sur une vie romancée mais des points de suspension....
Parce que la vie de Vicino Orsini continue de perdurer aujourd'hui avec cette part de mystère, que personne ne semble pouvoir élucider. Mais y a t-il un intérêt à vouloir impérativement comprendre au risque de perdre ce qui fait la magie d'un personnage, la magie d'un lieu, la magie d'un lieu et d'un personnage qui finissent par fusionner et ne faire qu'un...

Car c'est bien de cela qu'il s'agit un homme : Vicino Orsini et un lieu : Bomarzo

Ce que l'on retient de Bomarzo c'est ce fameux "Bois Sacré" : l'oeuvre d'une vie, l'oeuvre de Sa vie dans les deux acceptions. Alors comme ce lieu résiste à toutes les tentatives d'explications. L'auteur argentin Manuel Mujica Láinez, s'est lancé dans ce roman publié en 1962, le défi de lui construire une vie. Et qu'elle vie...
On traverse le 16 ème siècle italien. Et on y croise tout ce qui fait la richesse de cette époque, les artistes, les membres des grandes familles, les références à l'alchimie, l'occultisme, la médecine, la philosophie, les Lettres.
Ceux que Jean-François Saladin appelle dans don ouvrages éponyme Les aventuriers de la Mémoire Perdue.
Et tout cela dans les plus grandes foyers culturels de l'époque Rome, Florence Venise,...

Son roman ressort en ce début d'année dans une nouvelle collection baptisée Cobra dont le leitmotiv est le suivant :
Roman : "Récit contant des aventures merveilleuses. N'est-ce pas que cette définition vous semble, tout d'un coup, étrangère aux romans de notre époque ? La collection Cobra, elle, tiendra la promesse romanesque. Et tant pis si elle est inactuelle. Parce qu'au banal nous préférons le merveilleux, à la modestie la démesure. Nous prônons le fantasmé, l'irréel, l'allégorique. Autrement dit, nous prônons le retour au métier. Cobra, la piqûre de rappel"

Et bien c'est mission accomplie
Ce roman est absolument fantastique et baroque, foisonnant et érudit, complexe mais envoûtant, documenté mais jamais ennuyeux et pour ce qui est de l'allégorie on en est au paroxysme.

Le plus grand mystère entoure l'histoire de ce parc.
Vicino Orsini, selon une épigraphe découverte dans la pierre, disait l'avoir aménagé « seulement pour épancher son coeur ». Un coeur bien étrange, qu'on ne recommanderait guère pour modèle aux « enfants ». Ce prince fit sculpter, vers 1550, de gigantesques et monstrueuses statues. Taillées à même dans les blocs de rocher qui se trouvaient sur place, elles surgissent au milieu d'une végétation luxuriante, dans une nature très vallonnée.

L'ensemble devait présenter une signification symbolique qui nous échappe. Un parcours initiatique, dont le secret est perdu, ouvrait aux arcanes du parc. Faute de documents, mieux vaut se laisser guider par le hasard de la promenade, errer dans cette forêt parsemée d'apparitions à la fois merveilleuses et terribles. Merveilleuses au sens fort. E del poeta il fin la meraviglia, affirmait le Napolitain Giambattista Marino, et ce vers, écrit plus de cinquante ans après la création des monstres, pourrait leur servir de devise. « Le but du poète est la meraviglia. » Merveille : à la fois ce qui surprend, renverse par la nouveauté, l'insolite, et ce qui enchante par un pouvoir de séduction irrésistible.
Effectivement dans la végétation émergent :
l'emblème du site, appelé l'ogre et figurant la tête pétrifié d'un homme en train de crier. Sur sa lèvre supérieure, il est gravé la citation « OGNI PENSIERO VOLA » (chaque pensée s'envole), issue de « l'enfer », première partie de la « Divine comédie » de Dante Alighieri et dont le nom de « porte de l'enfer » également donné à la sculpture fait clairement référence.
Viennent ensuite pêle-mêle un cerbère à trois têtes, deux sirènes, trois ours héraldiques (jeu de mots sur Orsini), une Nymphe, un ogre dont la bouche est la porte et les yeux les fenêtres d'une cellule meublée d'une table et d'un banc de pierre, un dragon assailli par des chiens, un éléphant portant sur son dos une tour crénelée, un cheval ailé, deux sphinx accroupis, une géante assise, une maison construite exprès de travers, si inclinée et en équilibre si précaire qu'on se demande comment elle tient debout, une fontaine de guingois, surmontée d'un Pégase, une tortue au museau carré, surmontée d'une boule et d'une Victoire ailée, un Hercule de stature surhumaine, en train d'écarteler Cacus.

Comment expliquer une telle frénésie d'aucuns pensent àla presence toute proche du site archéologique de Tarquinia, certains évoquent que ce parc aurait été imaginé par son propriétaire suite à la mort de son épouse, une référence à l'ouvrage " le songe de Poliphile", à la « Jérusalem délivrée », du poème épique sur la première croisade écrit en 1581 par le poète Le Tasse. de nombreuses sculptures font également référence à des oeuvres des poètes italiens Arioste et Annibal Caro.
Ou alors comme l'évoque l'auteur de cette biographie romancée des épisodes marquants de la vie de ce fameux duc, depuis sa plus dure enfance et au fil de sa vie dans cette période riche de la Renaissance Italienne.

A la limite, peu importe, car lui qui serait né sous un horoscope qui lui prédisait l'immortalité, et bien au final elle lui est acquise, de la plus belle des manières.
La meilleure n'est pas celle donnée par Vicino Orsini, lui-même, sous la plume Manuel Mujica Láinez :
"J'étais saisi par une euphorie extraordinaire qui laissait loin derrière elle les essais esthétiques tentés jusqu'alors, le poème creux et rhétorique et les peintures destinées à répéter la geste redondante des Orsini. Cela m'appartiendrait à moi seul, serait unique ! Ce serait ma justification, mon explication, la prouesse exceptionnelle, le trait de génie inspiré qui placerait pour toujours Vicino Orsini dans le long cortège des siens, dont la fastueuse violence l'humiliait et qu'il avait tant de mal à suivre avec sa bosse et sa jambe traînante. Un livre de pierres. le bien et le mal dans un livre de pierres. La misère et l'opulence dans un livre de pierres. Ce qui m'avait laissé frémissant de douleur et de désir, la poésie et l'aberration, l'amour et le crime, le grotesque et l'exquis. Et à Bomarzo, dans mon Bomarzo."

Ce Bomarzo qui se visite encore et laisse un sentiment étrange et est destiné à rester un lieu empreint de charme et de mystère propre a générer des histoires et à solliciter l'imagination de chacun.
Un lieu qui mérite bien mieux que ce qu'on peut en lire dans les guides de voyages, ou de la place anecdotique qui lui est donnée, d'ailleurs Dominique Fernandez dit de Bomarzo : "Quelle pitié de lire les fadaises imprimées, quarante ans après, dans un guide de voyage français (« Voir », Hachette). « Le parc des monstres à Bomarzo, créé au XVIe siècle par un duc un peu fou, abrite des géants de pierre que les enfants aiment escalader. » La notice figure à la rubrique « la Rome des enfants ». À quels crétins confie-t-on la rédaction (ou la révision, celui-ci étant adapté de l'anglais) des manuels à l'usage des touristes ?"

Je conclue cette critique avec les mots de Vicino Orsini
" Ce dédale de gestes calmes et violents s'entrelaçait et se mêlait aux inscriptions que je rédigeai moi-même pour troubler le visiteur du labyrinthe, comme celles-ci :
Voi che pel mondo gite errando vaghi
Di veder maraviglie alte et stupende
Venite qua, dove son faccie horrende
Elefanti leoni orsi orchi et draghi 

Cedan et Memphi e ogni altra maraviglia
Ch'ebbe già il mondo in pregio al Sacro Boscho
Che sol se stesso et null'altro somiglia

(Vous qui par le monde vagabondez / Pour aller voir les merveilles les plus considérables / Venez ici, où se trouvent des visages horribles / Éléphants, lions, ours, monstres et dragons
Et Memphis et toute autre merveille / Que le monde honore déjà / Cèdent face au Bois Sacré / Qui ne ressemble qu'à lui-même et à rien d'autre)

Ou bien :
Chi con ciglia inarcate
Et labbra strette
Non va per questo loco
Manco ammira
Le famose del mondo
Moli sette
(Qui, au sourcil arqué / Et aux lèvres pincées / Ne va pas dans ce lieu / Ni même n'admire / Les fameuses du monde / Les Sept Merveilles)

Ou encore :
Tu ch'entri qua pon mente
Parte a parte
Et dimmi poi se tanteMaraviglie
Sien fatte per inganno
O pur per arte
(Toi qui entres ici l'esprit / Entièrement ouvert / Dis-moi alors si tant de / Merveilles / Sont faites pour la tromperie / Ou bien pour l'art)

Ou celle-ci, que je mise à côté du duel mortel des deux frères :
Se Rodi altier già fu del suo colosso
Pur di quest il mio Bosco anco si gloria
E per più non poter fo quiant'io pesso
(Si Rhodes fut jadis orgueilleuse de son colosse / Aussi de celui-ci mon Bois se glorifie / Et pour ne plus pouvoir je fais ce que je peux) "

PS : Quelques recherches sur Internet permettront à tout à chacun decouvrir ce statuaire étrange, ce bestiaire ésotérique et mythologique, ces références mystiques et ésotériques
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