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Critique de raton-liseur


Difficile de passer à côté de ce livre quand on se pique, comme moi, de s'intéresser aux littératures étrangères. Et pourtant il m'a fallu le défi de littérature africaine de cette année pour enfin me décider à l'ouvrir.
Scholastique Mukasonga, rescapée du génocide de 1994, a choisi pour évoquer son pays et ses difficultés (un bel euphémisme de ma part) à faire nation de placer son texte dans un lieu et un temps qui semble de prime abord éloigné de ses préoccupations.
Le lieu, c'est le pensionnat pour jeunes filles fortunées de Notre-Dame du Nil, dans les collines verdoyantes du Rwanda, pas loin de l'une des sources du grand fleuve ; le temps, c'est une année scolaire un peu particulière, une dizaine d'années après l'indépendance et alors que la politique pro-Hutu se durcit et donne lieu notamment à une dé-Tutsisation des établissements scolaires. Les personnages, ce sont bien sûr les jeunes filles scolarisées dans cet établissement, principalement des Hutus socialement connectées aux hautes sphères du pouvoir et de l'argent qui se préparent à faire un beau mariage, et quelques Tutsis pour respecter le quota, sélectionnées elles par concours. Il y a aussi le personnel de l'école : des religieuses, un prêtre pas très net, des professeurs belges, des objecteurs de conscience français, et puis il ne faut pas oublier de mentionner le voisin, un vieux colon belge propriétaire d'une plantation de café.
Avec cette panoplie de personnages, ce n'est pas vraiment un roman que Scholastique Mukasonga écrit, mais plutôt une série de scènes qui présentent une unité de lieu et de temps. Et avec ces scènes, Sholastique Mukasonga évoque les différentes facettes du pays. La plus évidente : la rivalité devenue haine qui sépare Hutus et Tutsis ; la plus dérangeante : la fascination des Européens pour les Tutsis et leurs relectures fantasques mais mortifères de la mythologie égyptienne ou de l'Ancien Testament ; la moins questionnée : l'exclusion systématique des Batwas ; etc. le portrait que Scholastique Mukasonga fait de son pays est multiple et complexe et elle montre, sans le dire, comment cette complexité a abouti vingt ans plus tard au génocide que l'on connaît. Car toute la rhétorique était déjà en place, pas seulement une discrimination ouverte, mais aussi tout un discours de rabaissement et d'appel à l'extermination. Comme un relent de : « on ne peut pas dire qu'on ne savait pas ».

Une lecture qui se déroule assez facilement grâce au style sans inutile fioriture de l'autrice, mais qui fait beaucoup réfléchir. C'était, j'imagine, un pari risqué de parler du génocide sans un parler. Ce pari est réussi, et en plus dans un livre accessible qui pourra plaire à de nombreux lecteurs, que demander de plus ?
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