AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de michfred


Envoûtée.  Je suis définitivement envoûtée par Antonio Muñoz Molina.

 Cette fois, ce ne sont plus,  comme dans Séfarade, des micro récits reliés par une trame arachnéennne d'exil et de solitude, éparpillés dans l'espace-temps en une vaste cosmogonie secrète et douloureuse.

Pleine lune c'est  un roman policier, non, plutôt un  récit noir, resserré, puissant. Une ville d'Espagne,  provinciale et frileuse, un hiver rude, et un inspecteur de police qui fuit les tueurs de l'ETA et traque un tueur de petite fille( peut être même de petiteS filleS) ,  qui tue à la pleine lune selon un rituel aussi barbare qu'imparable. La police scientifique a tout trouvé,  sauf l'homme lui-même. Sans fichier, sans mobile, sans visage. Sans adresse. L'anonyme parfait.

Mais chez Molina il n'y a jamais d'anonymes. La phrase s'insinue au coeur même du vivant, sonde les reins et les coeurs. Scrute les âmes. Les silhouettes lentement prennent une consistance, une couleur, une odeur. Une voix. Et tout le suspense est là,  au plus profond de l'humanité.  L'histoire n'est presque qu'un prétexte à approcher les hommes.

Il y a ce flic harassé qui attend,  résigné,   le coup de feu qui va l'abattre, l'imprudence fatale qui  mettra un point  final à son exil, à ses échecs,  et qui cherche malgré tout dans la foule l'assassin aux yeux morts qui a pu commettre une telle horreur de sang-froid.  Pour retrouver une dignité,  un sens à sa vie. A moins que l'amour, inespéré et généreux, ne le lui donne, enfin.

Il y a cette magnifique institutrice, lumineuse et sans détour, indépendante et blessée, fragile et forte qui a tout donné déjà,  et est prête à rejeter les dés, et à perdre, encore une fois, mais les yeux ouverts.

Il y a ce vieux curé "rouge" toujours un peu sur la touche dans sa paroisse, qui en sait long sur les blessures des petits garçons devenus des hommes au désir bancal et dangereux. Ce médecin légiste voué éternellement au rôle d'ami, de confident. Ce père à jamais détruit  qui refait sans cesse le film du soir de pleine lune où Fatimà , sa petite fille , est sortie acheter carton et crayons...

Et il y a l'assassin, brutal, humilié,  fou, qui cherche dans le sang une puissance qui le fuit.

Dit comme cela, rien que de très banal.

Mais c'est pourtant un miracle de lenteur, de poésie, de tendresse et de terrible cruauté. Molina est un styliste exceptionnel et il a une rare profondeur de vue et de pensée. Ses personnages continueront longtemps de m'entourer, et sans la connaître ni l'avoir identifiée,  je me promènerai souvent dans les rues de la petite ville où se hâte,  le soir, une foule indifférente et pressée,  et jetterai un coup d'oeil plein d'apprehension aux ombres du parc, noyé dans le brouillard, là où le talus, loin du dernier réverbère, plonge dans le gouffre noir de la Cava...


Commenter  J’apprécie          5614



Ont apprécié cette critique (50)voir plus




{* *}