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Critique de JustAWord


Personnalité importante de la scène science-fictive et fantasy américaine, Pat Murphy a non seulement reçu une multitudes de prix pour ses romans et nouvelles mais est également à l'origine du prestigieux prix James Tiptree Jr en 1991 avec sa compatriote Karen Joy Fowler (dont La Volte s'apprête à publier un recueil de nouvelles en langue française pour la fin de l'année).
On connaît pourtant peu Pat Murphy dans l'Hexagone puisque sa dernière traduction remonte à 2000 chez J'Ai Lu avec Nadya.
Ce sont Les Moutons Électriques qui ont choisi de lui redonner une chance dans la langue de Molière avec la traduction par Patrick Marcel du roman La Ville peu de temps après, un ouvrage à mi-chemin entre post-apocalyptique et utopie.

If you're going to San Francisco…
C'est par une bouteille à la mer que commence La Ville peu de temps après. Une bouteille retrouvée par l'une des survivantes de San Francisco qui, à l'instar du reste des autres grandes villes américaines, a été dévastée par une épidémie de Peste venue d'on ne sait où.
Quelques communautés tentent pourtant de reconstruire un semblant de société. Parmi elles, celle d'une jeune femme dont la mère, Mary Laurenson, est morte avant de pouvoir lui choisir un nom. Aux abords de Sacramento, un nouveau pouvoir monte, celui du général Miles (ou Quatre-Étoiles comme l'appellent ses adversaires) dont le régime ressemble fortement à une dictature de la pire espèce. Après avoir annexé quelques villes de moindre importance, Miles et ses troupes tournent leur regard vers San Franscico, la grande ville du Sud.
Mais dans San Francisco, les choses sont radicalement différentes. Pas de dictature, pas d'autodafé, pas de milice armée mais…de l'art et des artistes, des excentriques et des anarchistes. Sacré contraste.
La jeune femme de Sacramento quitte alors les siens pour porter un message à ceux de San Francisco : la guerre arrive.
Si Pat Murphy choisit deux lignes conductrices pour la première partie de son récit, alternant entre Sacramento et San Francisco, c'est d'abord pour illustrer la radicale différence de ton, de liberté et de politique entre les deux villes.
Très rapidement, les choses vont se centrer quasi-exclusivement sur San Francisco et le périple de cette mystérieuse jeune femme porteuse de tant d'espoirs. Contrairement aux attentes, l'autrice américaine s'oriente vers un récit contemplatif, à la fois doux et poétique, où l'art occupe le premier plan.
En consacrant des chapitres entiers pour caractériser les occupants de San Francisco, dressant leur passé et leurs aspirations, Pat Murphy offre une galerie de personnages sublimes et originaux.
La Machine, ou l'histoire d'un génie en robotique/mécanique qui pense être lui-même une machine puisqu'il a survécu aux siens, Crotale, un grapheur-artiste au talent inégalé, Danny-boy, jeune idéaliste adopté par un mère délirante, Bouquins, un vieil homme féru de littérature ancienne, Mme Migsdale, dernière romancière et historienne de son époque…
C'est l'ensemble de ces personnalités qui va donner, pour beaucoup, l'atmosphère quasi-onirique et franchement utopiste du roman. Mais c'est aussi, et surtout, leur rapport à San Francisco, leur façon de changer le visage de la ville qui va aussi changer le monde. Leur présence et leur manière de disséminer des oeuvres d'art partout où ils passent, repeignant le Golden Gate ou construisant des labyrinthes-miroirs, va finir par insuffler une âme entre les murs de bétons et les voitures à l'abandon. C'est ainsi que Pat Murphy se distingue radicalement des autres romans du même type, par cette volonté de faire du beau et à ré-enchanter un contexte post-apocalyptique qui devrait (logiquement) ouvrir la voie au désespoir.

Une forme de guerre
Que reste-t-il après la fin ?
Quand toutes les structures sociales et les lois se sont effondrées ?
Par la confrontation entre les hommes du général Miles et les artistes de San Francisco, Pat Murphy imagine une alternative à la loi du plus fort, s'inspirant des rapports de force inversés des conflits modernes, du Vietnam à la révolte menée par Gandhi, l'américaine livre un discours anti-militariste et, surtout, anti-guerre.
Publié en 1989, alors que la Guerre Froide était encore d'actualité, La Ville peu de temps après, raconte la menace apporté par la terreur et la violence. On retrouve dans le récit de l'américaine cette peur sourde de voir un pouvoir américain totalitaire prendre les armes pour défendre sa patrie au mépris de la vie humaine. En retour, l'autrice explore une autre voie, celle d'une guerre sans mort (ou presque) où la ruse, l'artifice, l'intelligence font comprendre à l'autre qu'il n'y a aucun intérêt pour les partis en présence de s'entretuer.
Utopique dans sa présentation d'une société d'excentriques à la tournure prise par la guerre asymétrique contre le général Miles, le roman de Pat Muprhy fait du bien au moral, il montre, simplement, que les choses sont plus complexes qu'on pourrait le croire, que le camp du mal est, souvent, plus difficile à appréhender qu'on ne le croit et qu'une réponse radicale n'entraînera qu'une nouvelle réaction radicale.
Dans ce message bourré d'humanité, Pat Murphy arrive cependant à rester lucide, à comprendre que certains hommes n'ont aucune possibilité de rédemption et que, dans des cas extrêmes, il faudra une solution extrême… même si cela ôtera un peu de la beauté du monde.
En prenant l'art et la création pour contrer l'autoritarisme et la destruction, Pat Muprhy offre un vibrant message d'espoir pour un monde nouveau où la paix adviendra certainement, mais pas forcément sous la forme attendue.
Au milieu, ce sont l'amour et l'amitié, la beauté du monde et de l'autre, ce sont des fleurs qui tombent du ciel et des anges discrets qui rendent le futur plus grand.

Roman d'une grande poésie à la beauté saisissante, La Ville peu de temps après ré-imagine complètement une grande ville américaine pour en faire une chose vivante et fascinante, attendant que l'homme choisisse le chemin de la paix pour mettre fin à un cycle de violence qui semble toujours (et plus que jamais) d'actualité à l'heure actuelle. Un plaidoyer anti-militariste et humaniste à mettre entre toutes les mains.
Lien : https://justaword.fr/la-vill..
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