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Critique de chocobogirl


L'ouvrage contient 2 nouvelles érotiques de longueurs inégales : le secret de la petite chambre (d'une vingtaine de pages) et La fille au chapeau rouge (environ 90 pages). Écrits de manière anonyme au début des années 20 au Japon, les 2 textes ont été par la suite attribués à deux grands auteurs de la littérature japonaise. Un anonymat de rigueur, compte tenu de la censure de l'époque. En effet, de 1869 à 1945, des mesures restrictives quant à la liberté d'expression sont en place, dans le but de se prémunir de l'opposition au nouveau gouvernement Meiji. La presse et l'édition sont censurées et toute publication troublant l'ordre public ou contraire aux bonnes moeurs était saisie.


Le secret de la petite chambre :

Attribuée de manière quasi certaine à Kafû Nagai, cette nouvelle paraît pour la première fois en 1940.
Le narrateur, Kimpu Sanjin, découvre lors d'une promenade une ancienne maison de rendez-vous qui est à vendre. Sans réfléchir, il achète cette dernière sur un coup de tête. Puis, en voulant apporter quelques changements dans l'aménagement, il découvre sur le papier des cloisons coulissantes un texte bien particulier qui y a été griffonné. Il s'agit des amours d'un jeune homme avec une geisha qui deviendra sa femme, en l'occurrence la première nuit qu'il passa avec elle et la manière dont il tente de lui offrir la jouissance.

Étonnante nouvelle qui évoque dans un premier temps les affres du plaisir masculin lié à tel ou tel âge avant d'aborder les différences entre l'homme et la femme. Alors que celle-ci désire une « relation profonde », l'homme « est sans cesse la proie du désir d'une multiplicité de relations, toutes superficielles ». Revenant sur la rencontre avec cette prostituée, l'homme détaille les obligations de sa profession : la geisha doit se laisser faire sans s'abandonner, sans écarter ses vêtements de dessous, garder les yeux fermés, tout particulièrement la première nuit avec un client. Elle ne semble pas particulièrement active durant l'acte sexuel. Tout le défi et tout le plaisir de l'homme en question va donc être de réussir pourtant à troubler cette jeune femme et à l'amener à la jouissance qu'elle se refuse. Suit dès lors une description précise mais distinguée des gestes de monsieur et des frémissements de sa compagne. Les plaisirs sont variés. L'homme exprime une grande attention au plaisir de sa partenaire et semble infaillible quant au contrôle qu'il a sur sa personne. Bataille, victoire, triomphe, femme vaincue : l'acte est pourtant vu comme un combat entre l'homme et la femme. le masculin prend évidemment le pas et l'homme repart vers de nouveaux horizons, « toujours à la recherche de sensations neuves ». La femme légitime, comparée aux trois repas d'un homme, n'a qu'à en prendre son parti tandis que son mari est libre de picorer des douceurs qui ne l'empêche pas de diner.

Représentatif de son époque et d'une certaine conception des rôles sexuels, ce petit conte érotique n'hésite pas à vous convier ouvertement aux plaisirs du narrateur en jouant sur le côté voyeur de la chose qu'accentue le cadre quelque peu licencieux (un ancien bordel) de l'histoire. Si une attention particulière est portée à la recherche de la jouissance féminine, néanmoins, j'ai été gênée par la vision offerte sur le mariage et ses petits arrangements. Il faudra prendre un peu de recul pour en apprécier toute la saveur de ce texte capable de réveiller quelques ardeurs endormies.


La fille au chapeau rouge :

Autre texte, autre style. Cette nouvelle est parue dans la revue Sôtai dirigé par Ogura Seisaburô. Étudiant la sexologie ce dernier fonda un groupe dont le but était d'étudier la sexualité et de publier leurs propres expériences. Regroupant près de 300 membres dont de célèbres auteurs, il est difficile d'identifier avec certitude l'auteur de ce texte. Attribué, suite à une simple déclaration, à Akutagawa Ryûnosuke, rien ne permet de prouver la paternité de ce texte.

L'histoire se déroule non pas au Japon mais à Berlin. On y suit un jeune japonais déambulant dans une Allemagne de l'après-guerre. Alors qu'il se promène, un soir, dans les rues de la ville avec le « secret espoir d'une aventure amoureuse », il fait la rencontre d'une berlinoise au chapeau rouge. Il ne parle que quelques mots d'allemand, la belle ne parle que l'allemand. Malgré leurs difficultés à se faire comprendre, le couple finira par s'accorder pour une relation tarifée. Loin d'être une prostituée, la jeune femme fait partie de ces dames qui tentent, dans un pays ruiné, de se faire quelques sous auprès d'un étranger. Ils décideront de se revoir le surlendemain et passeront une nuit ensemble après un diner. le lecteur suivra notre narrateur et amant sur 3 jours. Les deux rencontres coquines se voient entrecoupées par un intermède amical où nous découvrons notre japonais retrouver un confrère avec qui s'entame une conversation culturelle quant aux moeurs des femmes allemandes.

Si l'histoire et les coucheries du couple écrites avec un sens descriptif aigu sont sans surprises, l'intrigue bien plus étoffée permet de s'attacher à ce couple atypique sans grand effort. Touchant dans leur problème de communication, on assiste à leurs efforts pour tenter d'échanger. Gestes, dessins, sourires, regards et un petit dictionnaire leur suffiront à se faire comprendre. Pour autant, si les plaisirs de la chair ne nécessitent pas de parole, un diner dans un espace public peut s'avérer rapidement gênant pour un couple incapable de se parler. L'attirance physique fait le jeu de l'incommunicabilité et met au jour une relation particulièrement intéressante, tarifée mais vraie.
L'autre aspect intéressant de ce texte est tout le contexte social de l'Allemagne de l'époque. Elle sort d'une guerre qui l'a ruiné. Les français sont persona non grata et rien que le fait de parler leur langue est plutôt mal perçu. Les habitants survivent avec beaucoup de difficultés à cette crise et certaines jeunes femmes n'hésitent pas à donner de leur personne pour améliorer l'ordinaire. Les étrangers, notamment les japonais, avec leur devises fortes sont vus comme des riches pouvant tout s'offrir, le mark étant tellement dévalué. L'ami du narrateur n'hésite pas à expliquer à ce dernier tous les avantages d'une relation avec une allemande. Peu exigeante, elle se contente des quelques largesses qu'un étranger voudrait bien lui offrir et ne s'attache que le temps de leur relation, permettant à certains à aller et venir sans s'encombrer d'un amour légitime, durable et contraignant.

« Par les temps qui courent, les jeunes filles bien elles-mêmes, plutôt que de recevoir un salaire de misère dans quelque magasin ou usine, préfèrent apparemment se mettre avec un Japonais enrichi par la guerre. »

Une guerre qui profite ironiquement à certains : « Eh bien, te rends-tu compte, c'est à la guerre qu'on doit tout cela ! »

Les scènes érotiques loin d'être de purs accessoires. Plus vivantes que dans la première nouvelle, elles restent malgré tout fort précises dans le détail. Pour autant, la nouvelle est loin d'être réjouissante. le contexte social et les extrémités de ces allemandes qui, d'une certaine manière, se vendent au plus offrant, offre un portrait dur et pathétique d'une Allemagne à terre tandis que les japonais montrent un visage hypocrite profitant de la faiblesse des uns pour assouvir leur besoins charnels, se cachant et se mentant les uns les autres quant à leurs relations avec la féminité allemande.
Une époque difficile qui fait oublier la composante sexuelle de la nouvelle, pourtant non négligeable et laisse un goût amer en refermant ce recueil.

Voici donc deux variations amoureuses extrêmement différentes mais qui, derrière des apparences de liberté de moeurs détachée des convenances s'avèrent finalement à mon sens encore très rétrograde dans leur approche. L'homme est toujours le moteur et la femme, par nécessité, s'astreint au désir de l'homme, même s'il y a jouissance et intérêt de sa part.

Je rappellerais juste que parler sexualité dans un Japon censuré était déjà une petite victoire contre le pouvoir.
Lien : http://grenieralivres.fr/201..
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