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Critique de Clubromanhistorique


Docteur en histoire et spécialiste de l'histoire politique du début du XIXe siècle, Laurent Nagy est notamment l'auteur de "D'une Terreur à l'autre. Théories du complot et nostalgie d'Empire, 1815-1816" aux éditions Vendémiaire. "Le Complot du Livret rouge" est son premier roman policier historique !

Appréciant les romans historiques bien documentés, je porte toujours une grande attention au parcours de l'auteur (études, profession, etc.) et/ou les recherches qu'il a accomplies pour rédiger son roman. Et je suis toujours très curieuse de découvrir comment les historiens parviennent à marier les codes de la fiction et la réalité historique. Aussi, "Le Complot du Livret rouge", premier tome d'une nouvelle série policière, a immédiatement attiré ma curiosité, d'autant que ce roman traite d'une période que je connais mal, la Restauration… je me suis dit que c'était certainement un bon moyen pour moi d'aborder ces années et plus précisément l'année 1814, année cruciale au possible : nous sommes donc sous le régime de la Restauration et la France est dirigée par le très contesté Louis XVIII. La colère gronde dans tout le pays et les rumeurs les plus folles se diffusent… Napoléon Bonaparte serait sur le point de revenir pour reprendre les rênes du pouvoir !

C'est dans ce contexte très troublé qu'est retrouvé un beau jour du mois de septembre 1814 le corps de Joseph Chunotte, entrepreneur de filature, au pied de son domicile dans le faubourg Saint-Antoine, à Paris. Défenestré, certes, mais est-ce un suicide, un accident ou bien un meurtre ? Cette mort, qui pourrait paraître somme toute banale, semble pourtant préoccuper pas mal de monde, au premier chef Simon Duplay, qui travaille à la Direction générale de la police. Il faut dire que ce manufacturier, certes ruiné mais connu dans le quartier Saint-Antoine sous le titre de "vice-roi du faubourg", jouissait depuis de nombreuses années d'appuis politiques importants et pour cause : ayant été au centre d'intrigues durant les premiers temps de la République, il détenait pas mal de secrets sur les uns et les autres, dont un mystérieux document appelé le Livret rouge que Simon Duplay, entre autres, aimerait bien récupérer ! Que recèle ce document ? Peut-il mettre en péril le régime en place ? Face à ce danger, Simon Duplay décide de confier l'enquête au discret commissaire Samuel le Mullois, le héros de cette histoire, aidé de l'inspecteur Dugénie, qui travaille au Bureau de la sûreté de la préfecture de Paris.


Une date clé : 1814
Nombreux sont les romans historiques policiers se déroulant sous la Révolution française ; ils se comptent quasiment sur les doigts des deux mains pour la période post-révolutionnaire. Moins spectaculaire ? Moins sanguinaire ? Moins explosive ? En tout cas moins connue du grand public dont je fais partie...Avant de lire ce roman, j'aurais été bien embêtée si on m'avait demandé de résumer la situation générale de la France en 1814.

Avec ce roman, malgré mon appréhension de départ – il manque en début d'ouvrage une courte présentation du contexte global de la France, qui est, de manière générale, une véritable clé d'entrée pour beaucoup de lecteurs –, j'ai plongé avec facilité dans ce pan de l'histoire de France qui se révèle être tumultueux et mouvementé. Certes on ne tue plus à tout bout de champ, mais la situation est toute aussi explosive et tendue : les régimes et les hommes se succèdent, mais la misère et les inégalités demeurent. Pourtant, les revendications sont là ; la colère et la violence ne sont pas loin… Renforcée par le mordant hiver de 1814, la crise sociale et économique s'amplifie : durement touchées par la concurrence anglaise, les manufactures de tissus des faubourgs, sur lesquelles la croissance économique a longtemps reposé sont, ferment les unes après les autres, laissant nombre d'ouvriers sur le carreau…
Or les hommes placés dans les plus hautes sphères du pouvoir, totalement aveuglés par leur ambition personnelle, sont totalement indifférents au sort de la population : qu'ils soient d'anciens républicains devenus royalistes, républicains ou royalistes, tous sont de véritables girouettes capables de changer de bord politique dès que le vent semble tourner. Et il risque de bientôt tourner, les rumeurs du retour de Napoléon Bonaparte se faisant de jour en jour plus précises. C'est donc l'effervescence !

Mais ce roman ne se contente pas d'explorer la situation générale du pays en cette fin de Restauration ; à travers certains personnages, il montre combien les idéaux de la Révolution française ont été dévoyés, aboutissant à la conspiration des Égaux puis à la situation actuelle, il y a une véritable mise en perspective.


Un héros distant et peu attachant ? Attention aux premières impressions...
Les témoins de ce pan de l'histoire de France sont très divers – on regrettera la quasi absence de femmes dans ce roman, mais cela correspond malheureusement à la réalité historique : l'auteur a fait appel à des personnages à la fois historiques, dont il parle d'ailleurs dans une intéressante note en début d'ouvrage – entre autres, Henri Redouté, Jaques Santerre, Simon Duplay – et de fiction, dont notre héros, Samuel le Mullois. Un héros qui, sans être un anti-héros car il n'est pas méchant, est loin d'attirer la sympathie… au premier abord. Et cela pour deux raisons.

D'une part, l'auteur ne s'attarde pas assez sur son héros, le laissant rapidement à distance dès la fin du chapitre un, après son entrevue avec Simon Duplay, alors que nous sommes justement en demande d'informations face à ce personnage bien mystérieux, qui nous échappe. Rassurez-vous, on retrouve notre héros dès le chapitre trois, mais ne croyez pas qu'il sera devenu entre temps chaleureux. Autant vous le dire de suite, notre héros est un taiseux, un solitaire. D'ailleurs, selon l'inspecteur Dugénie, adepte de la physiognomonie, ses "sourcils épais, compacts, comme tirés au cordeau" sont les signes d'un caractère atrabilaire et rassis !

L'autre raison tient au fait qu'il y a un deuxième personnage qui a tendance à attirer rapidement toute la lumière sur lui : Pierre Ambroise Almeiras, capitaine retraité et teneur de livres chez François Richard-Lenoir. À l'inverse de Samuel le Mullois, certains chapitres sont entièrement consacrés à ce personnage que l'auteur décrit avec minutie : on connaît son physique, son caractère, ses forces et ses failles ; on a accès à ses pensées les plus intimes, ses doutes, ses peurs… Ce personnage sensible et jeune semble plus accessible, plus lumineux et il devient d'autant plus intéressant de par ses liens avec la victime et ses origines mystérieuses.

J'ai bien failli me laisser entraîner par cet élan de sympathie, mais je me suis dit que, non, Samuel le Mullois ne méritait certainement pas une telle indifférence, donc je me suis de nouveau concentrée sur lui et bien m'en a pris. En effet, au fil du roman, l'auteur distille petit à petit des précisions sur son personnage, qui, mises bout à bout, permettent de dresser un portrait psychologique assez précis même si demeurent de nombreuses zones d'ombre. Pari assez risqué me direz-vous ! Car rien n'est pire que l'indifférence. le héros, on l'aime ; l'anti-héros, on aime le détester ! Donc l'idée de suivre ce rabat-joie durant plus de deux cents pages ne m'enthousiasmait guère, mais j'étais persuadée que quelque chose se cachait derrière ce personnage taciturne et l'auteur a bien mis en scène cet aspect même si cela nécessite de bien se souvenir de toutes les informations données au cours du roman pour les raccorder au fur et à mesure entre elles. Et la présence d'un deuxième personnage fort, le fameux Pierre Ambroise Almeiras, crée une sorte de concurrence qui n'est pas totalement maîtrisée à mon sens étant donné que j'ai bien failli reporter tout mon intérêt sur Pierre Ambroise Almeiras, délaissant Samuel le Mullois, alors que les deux personnages sont importants. Peut-être qu'une présentation un peu plus détaillée du héros lors du premier chapitre aurait permis d'installer une certaine connivence, solide, avec Samuel dès le départ.

Et donc ce Samuel, qui est-il ? On apprend progressivement qu'originaire de Dieppe, il est calviniste et marié à Cornelia, une femme issue d'une riche famille de Stuttgart. Mais il a eu une précédente épouse, décédée, union dont est né un fils, élève à l'École polytechnique. Ancien officier d'infanterie, traumatisé par les guerres "pour sauver la République et la gloire de Napoléon" – de là provient certainement la maladie de peau dont il souffre et qu'il cherche à dissimuler en étant très attentif à son aspect extérieur –, il a été réformé et est entré dans la police. Au retour des Bourbons, au printemps 1814, il n'a pas été inclus dans la nouvelle organisation de la Direction générale de la police. Ces différents coups de projecteur, loin de mettre en lumière un individu misanthrope, froid et sans empathie, dessine au contraire un personnage sensible, discret, qui ne souhaite pas faire de vagues, retiré, véritablement traumatisé par son expérience de la guerre. Il y a notamment un passage très fort, celui où Samuel évoque sa situation au soir de la bataille d'Eylau, en février 1807 : après l'avoir lu, vous comprendrez pourquoi Samuel ne mange plus de viande…

Malgré mes petites réserves sur la manière dont est géré le personnage principal au début du roman, je dois avouer que j'ai fini par vraiment m'attacher à ce héros, qui est un écorché de la vie et qui s'est construit une sorte de carapace pour survivre. Vu les indices distillés dans ce roman – son veuvage, son fils, etc. –, je pense que Samuel le Mullois nous cache encore bien des choses ! Voici donc un personnage atypique, avec du potentiel pour les prochains tomes !


Un Paris méconnu mais pas si lointain
Même si Samuel le Mullois parvient à garder une certaine distance avec nous alors même que le récit est mené par un narrateur omniscient – ce qui montre à quel point le héros retient ses émotions et ses pensées –, nous le suivons partout et ce sont par ses yeux que nous découvrons un Paris étonnant, hybride, où se juxtaposent des quartiers où demeure dans l'architecture un esprit médiéval (quartier des Halles), des zones où règne l'urbanisme contemporain tel que l'a imaginé Napoléon Bonaparte (rue de Rivoli) et des lieux victimes des dévastations révolutionnaires. On découvre ainsi avec surprise la fameuse rue du Colombier où vit Samuel le Mullois, située en plein coeur du quartier de Saint-Germain-des-Prés, qui n'était alors qu'"une voie obscure dominée par les hauts murs de l'Abbaye", boueuse à souhait.

Le coeur de l'intrigue se situe dans le quartier du Faubourg Saint-Antoine, un quartier bruyant et sale, considéré alors comme frondeur et vindicatif. C'était un véritable "atelier gigantesque de la capitale" où dominait les fabriques de coton… un quartier aujourd'hui habité par les classes aisées !
Mais, toujours en lien avec le contexte social et politique mouvementé, notre héros nous emmène également dans les cafés du Palais-Royal, haut lieu de la contestation, et ses librairies. Ce fameux Palais-Royal avec ses galeries de bois accueillant chalands et badauds la journée et qui devient, le soir venu, un véritable quartier général politique, repaire à la fois des mécontents de la Restauration et des royalistes convaincus, d'où parfois quelques bisbilles ! La fréquentation de ces différents lieux, avec les nombreux personnages qui y défilent, nous donne une image assez précise de l'état d'esprit d'une partie de la population. On la perçoit également dans les différents titres de presse lus par Samuel le Mullois et dont on découvre les noms : "La Quotidienne", "Le Drapeau blanc", "Le Censeur", "Le Moniteur universel", "Le Journal des débats"… autant de journaux bien souvent aujourd'hui oubliés alors qu'à l'époque ils étaient l'équivalent du "Monde", du "Figaro", de "L'Humanité", etc.

De tous les lieux visités, l'auteur nous donne une description précise, vivante mais sans lourdeur. Ces descriptions détaillées sont extrêmement précieuses, ce sont les témoins d'un monde qui a disparu, comme les bains Poitevin où notre héros vient soulager ses problèmes de peau et dont j'ignorais l'existence.


Une intrigue pas assez musclée
Si vous aimez les intrigues complexes, avec plein de rebondissements et de fausses pistes, des meurtres, des enlèvements, vous serez sans aucun doute déçus. Ce roman policier historique est à mon avis davantage un roman historique en ce sens où la contextualisation et l'histoire des personnages l'emportent sur l'intrigue. Bien qu'intéressante car apportant quelques petites surprises, elle est trop ténue du fait de l'absence de rebondissements et de mises en danger, le roman se déroule entièrement sur un rythme égal, un peu "pépère", sans réel suspense d'autant que la liste des suspects connus est réduite : Groseille Bizon, Pierre Ambroise Almeiras, Robillard et Claude Mennessier.


Pour résumer, ce roman m'a davantage intéressée pour son côté historique que pour son intrigue. Mais ce premier tome est prometteur, il ne manque pas grand-chose pour bien équilibrer histoire/suspense !
Lien : https://romans-historiques.b..
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