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Critique de Osmanthe


Keiji Nakazawa vivait avec sa famille à Hiroshima le jour où la bombe a explosé. Sur le chemin de l'école, comme des milliers d'autres enfants, il a laissé à quelques centaines de mètres derrière lui une maison détruite. Son père, un frère et une soeur, parmi ses cinq frères et soeurs, ont succombé instantanément ou presque, quand sa mère a miraculeusement survécu, donnant naissance au même moment à une petite Tomoko...qui ne survivra que quatre mois à cet enfer.

Raconté sous forme de très courts chapitres de deux, trois pages, l'auteur du célèbre Gen d'Hiroshima, nous livre dans ce témoignage quelques-unes des scènes qui n'ont jamais quitté sa mémoire, et comment pourrait-il en être autrement. Images sur le vif de corps à vif, chairs pantelantes de ces fantômes errants à la recherche de nourriture, pantins hagards qui ne tiennent debout que par miracle, déjà dévorés par les mouches et les vers, et dont on ne sait pas s'ils sont mués par un automatisme zombie ou par un dernier sursaut de volonté propre…Ils souffrent terriblement…D'autres ont eu davantage de « chance » … carbonisés, et figés sur place.

Un témoignage aux frontières de l'indicible et de l'horreur. Ces pauvres gens ne comprennent pas ce qui leur arrive, et on prendra bien soin de leur cacher la vérité autant qu'on pourra. On sent que Keiji en a particulièrement après l'ABCC (Atomic bomb casuality commission), un bureau vite installé par l'armée américaine, qui va ausculter la population rescapée sous toutes les coutures, non pas pour soigner l'un ou l'autre des nombreux problèmes de santé survenus, mais à des fins scientifiques, en étudiant là des cobayes. Il n'y a pas de compassion chez l'occupant, et les autorités japonaises qui reprendront peu à peu la main ne seront pas plus transparentes ni charitables.

Un témoignage choc, et bouleversant par sa sobriété réaliste. le style est lapidaire et limpide, et surtout pas larmoyant, non « poético-romantique ».
Il faut saluer cette réédition de 2020 au Cherche-Midi, un quart de siècle déjà la première. La saluer dans son principe même, à l'heure où évidemment il n'y a presque plus de survivants, pour sauver et cristalliser cette mémoire. La première de couverture est particulièrement réussie dans sa forme. Les informations de titre et d'auteur sont englobées dans un médaillon rouge, qui nous ramène au pays des racines du soleil, apposé sur l'éloquente photo de cette femme dans les ruines avec sa fille, femme qui esquisse malgré tout un sourire…les Japonais ont cette force de si peu se plaindre, de souffrir en silence, et de se remettre sans tarder, et inlassablement au travail.

Je regrette cependant un grand oublié de cette couverture, Bernard Clavel. Son texte de l'édition de 1995 a été conservé, mais il n'en apparaît cette fois aucune mention en première de couverture, et extrêmement discrètement en quatrième ! On lui aura préféré une préface d'un ancien ministre de la Défense, un politique qui voudrait nous faire croire que le traité d'interdiction des armes nucléaires de 2017 changera l'avenir de l'humanité, alors même qu'il convient que les Etats-Unis, la Russie ont renoncé à leurs engagements, que la non-prolifération a été une chimère (Iran, Corée du Nord), et que la Chine poursuit activement et sans états d'âme son entreprise de rattrapage. Et quand on sait que la France et le Japon (un comble !) se sont abstenus de ratifier ce traité d'interdiction, cela laisse peu d'espoir... On se fiera donc plus sûrement au superbe plaidoyer de Bernard Clavel pour la Paix. Cet homme n'a cessé de revendiquer son pacifisme toute sa vie et au fil de son oeuvre immense. Et il n'a pas sa langue dans sa poche pour dénoncer les vas-t-en guerre, les pacifistes de salon vite gagnés par la mollesse des politiques qui n'agissent pas et envoient des jeunes se faire liquider. Au passage, il égratigne même les femmes, dont on ne cesse de dire que si elles étaient au pouvoir, il n'y aurait plus de guerres (tu parles, il suffit de voir la terreur qu'inspire déjà la soeur de Kim Jong Un, une femme glaciale et impitoyable à la main de fer, ou encore, dans le registre du non-respect des droits de l'Homme, une certaine prix Nobel de la Paix qui depuis qu'elle participe au pouvoir les laisse être bafoués sans sourciller). Pour Clavel, elles ont longtemps été et sont encore souvent trop sensibles au charme viril de ces maris et fils en uniforme. Bref, voici un pacifiste qui pour le coup ne se privait pas de canarder, dès lors qu'il s'agissait d'une juste cause. Mais cette pugnacité n'a jamais caché un terrible pessimisme : n'en déplaise aux beaux discours sur le nécessaire « équilibre de la terreur » qui justifie la course au nucléaire militaire, les armes inventées au fil des âges ont toujours fini par servir. Un texte sans la moindre concession, qui m'incite décidément à placer également la présente critique parmi celles consacrées à la première édition, qui plaçait Bernard Clavel en co-auteur, parce qu'il le vaut bien.

En fin d'ouvrage, un mot sur les hibakusha, ces japonais irradiés qui souffraient et souffrent encore dans leurs chairs des décennies après, mais aussi dans leur âme, victimes de discriminations voire de harcèlement, comme malheureusement il en existe sous bien des formes au Japon quand on n'est pas dans la norme collective.

Enfin, un rapide mais efficace topo sur les différents types de bombes nucléaires : atomique, à hydrogène, à neutrons, très didactique. En gros, les bombes A sont à uranium (Hiroshima) ou, plus puissantes, à plutonium (Nagasaki). Mais les bombes H, mises au point quelques années après sont mille fois plus puissantes…Une seule bombe H a une capacité de destruction six fois plus grande que toutes les bombes conventionnelles larguées durant la seconde guerre mondiale.

Au-delà d'un témoignage capital sur la première tragédie nucléaire de l'Histoire et ses conséquences, cet ouvrage qui se lit très rapidement constitue une synthèse utile et intelligemment agencée sur le sujet.
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