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Critique de Tubuline


Ah … « La Sacoche »….par où commencer ?
Je suis allée marcher, de gîte en gîte, avec un sac à dos, en Corse. C'était le seul livre que j'avais emporté. Comme nous transportions tout sur notre dos, le superflu n'avait pas sa place et tout gramme était compté. Je l'ai lu lentement, je m'en suis imprégné, au rythme de nos haltes, peut-être au rythme chaloupé de la caravane.
Un livre étonnant- je n'en connais pas de comparable -, une écriture magnifique, envoutante.
Les premiers adjectifs qui me viennent à l'esprit pour décrire l'effet que j'ai ressenti sont « circulaire » « infini » et « magique ». Cette impression est probablement due pour partie au procédé utilisé, c'est-à-dire un même évènement raconté au travers des différents acteurs, passé au filtre de leurs vies et de leur vécu. Un prisme, un jeu de miroirs qui donne ce sentiment d'infini. J'ai aussi pensé aux trous noirs, décrits dans les sciences de l'univers, une sorte de spirale où mille mondes sont avalés pour se retrouver en seul point. Parallèle facile à faire si on se réfère par exemple, au chapitre sur le pèlerin, page 207 (de l'édition de poche), où il est écrit, lorsqu'il essaie de lire un des rouleaux contenus dans la sacoche : « le soleil de midi tapait sur la page, qui flamboyait devant lui et l'aveugla momentanément. Il pouvait à peine la déchiffrer. Les mots étaient tracés comme en grande hâte, sans les points. Et pourtant cela ne semblait n'être qu'un seul point énigmatique. Les mots se fondaient l'un dans l'autre, équivoques. Ils lui disaient que le chemin est étroit, que la voie est mince, alors même qu'elle est plus spacieuse que les cieux et la terre et tout ce qui s'étend entre eux. Ils lui disaient que le point premier est le commencement et la fin, le centre et la circonférence des cieux et de la terre et de tout ce qui s'étend entre eux. II ne comprenait pas. ». Comment comprendre l'infini ? Notre cerveau humain n'éprouve-t-il pas une sorte de vertige face à l'infini ?
Un livre circulaire parce qu'il dit, au travers de l'histoire de chaque personnage, que les origines et la fin sont indissociables : le pèlerin, qui s'est mis en chemin pour sauver son pays car il a rêvé qu'il deviendrait un désert, apprivoise les tempêtes de sable, et disparaît plein allégresse, avalé par les sables mouvants. Ou encore, le religieux, qui a peur des femmes, de la mère, perdu entre sexualité et spiritualité, parti pour fuir la Parole d'une femme, le Livre Mère et qui brise les barrières et se laisse envahir par son amour pour la Falacha mourante. Il trouve à son tour dans la sacoche, une réponse à sa quête : « … les mots qu'il venait de lire l'emplissait d'un tel vertige, ces « paroles mères » si enceintes de sens, si pleines de signification.. ».
Et que dire du changeur, un menteur, caméléon de la parole, qui achève sa quête la langue coupée, au moment où il découvre la sacoche : « …Les paupières inondées de sueur et la bouche formant un O hideux (encore un cercle !), il attira le rouleau sur ses genoux et de mit à lire. »… ?
Ce ne sont que quelques exemples, ce livre est d'une telle richesse que je pourrais écrire des pages.
Un cercle aux entrées multiples.
J'ai un attachement particulier pour le dernier chapitre, celui du cadavre. Pour son humour, bien vivant, au sujet de sa puanteur (à ce propos, c'est incroyable la quantité de parfums qui se dégage de ce livre). Et pour l'idée de détachement pour rejoindre l'universel: « Nous vivons pensait le cadavre, comme si nous devions vivre à jamais. Et quand nous mourrons, nous imaginons que nous allons puer à jamais. Mais ni l'un ni l'autre n'est vrai : c'est une question de détachement. ».

Un livre magique aussi. Magique par son écriture, ciselée. Un ensemble de réflexions profondes, touchant à l'essentiel, dites avec légèreté. Magique, parce qu'il y a quelques chose d'incantatoire à revivre ce même évènement à travers les différents personnages. Magique, parce qu'il apporte au lecteur plus qu'une histoire, plus que l'histoire de chaque acteur. Il y a une telle tolérance qui se dégage de ses lignes. Chacun des personnages est tellement humain, accepté tant avec ses turpitudes qu'avec ses grandeurs. le résultat fait que l'on s'aime mieux et que l'on aime mieux les autres. Un livre qui apporte de la sérénité, de la simplicité. Ainsi la première phrase calligraphiée tirée de la sacoche « le jour de la Résurrection est un jour où le soleil se lève et se couche, de même que n'importe quel jour ».
Cette sacoche magique décoche ses flèches non seulement aux personnages du roman, mais aussi dans le coeur du lecteur : « Les oiseaux volaient de sa bouche comme des flèches, destinés à planter des semences dans tous les déserts du monde. »

Je n'ai malheureusement pas le talent de Bahiyyih Nakhjavani pour exprimer non seulement le plaisir, la jouissance que j'ai eu à lire ses lignes mais aussi tout ce que la lecture de ce livre m'a apporté à l'échelon spirituel.
Je ne relie que très rarement des livres. Je crois que cela ne sera pas le cas pour celui-ci. Comme un opéra, il déroule tellement de mélodies simultanées que l'on peut découvrir quelque chose de nouveau à chaque écoute, à chaque lecture.
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