La vie est imprévisible. On fait de son mieux avec les chances qu'on a.
Honnêtement, j'ai l'impression que les seuls êtres humains intéressants au monde sont les tout petits. En grandissant, année après année, nous perdons toujours plus d'imagination, comme la peinture blanche qui s'écaille sur une clôture. Arrivés à l'âge adulte, nous ne sommes plus qu'une horde d'épouvantails flapis, conditionnés, qui avancent en titubant, la tête pleine de foin.
En juin, le ciel d'un azur éclatant nous promettait un été magnifique. En y repensant, je me rends compte que j'étais bouleversée par les possibilités infinies qui s'ouvraient à nous tous. Nous avions fini le lycée, nous étions libres de choisir n'importe quelle direction, et nous avions tout l'été pour ne nous occuper que de nous. Cet inconnu qui nous attendait créait un lien de camaraderie, d'unité, et c'était la première fois que je me sentais vraiment appartenir à un groupe. L'automne venu, notre classe de terminale allait se disperser dans cinquante directions différentes comme un sac de billes qui tombent à terre – mais pour l'instant, nous n'avions pas encore heurté le sol. Il n'existe que peu de moments semblables dans la vie, où rien n'est balisé, limité par un sentiment de perte, où les possibilités semblent infinies et porteuses d'espoir. J'aurais voulu hurler à la face de l'infinité du monde...
Il y a une certitude chez les enfants, une foi qui se perd chez les adultes. Dites à un enfant qu’il y a un monstre dans la salle de bain et il vous demandera de quelle couleur il est. Ils acceptent tout , ce qui les rend forts, et non vulnérables. Nous devrions exalter notre capacité enfantine à croire.
Mettez cent personnes dans une pièce et attendez. Les psychopathes vont finir par émerger et je vous le dis, ce ne seront pas ceux que vous aviez imaginé au début, et il y en aura forcément plus d'un.
Le soir tombait quand nous sommes rentrées, et c'est là que j'ai su comment cette histoire allait tourner. Sur le lac, une vague sombre se préparait. Elle s'étirait, faisait jouer ses muscles. Elle allait bientôt déferler, se couler sous toutes les portes de la maison, filtrer par chaque fenêtre, jusqu'à ce que tous ses murs bleus virent au noir.
L'univers entier allait lui tomber dessus, et j'étais la seule à le voir.
J'ai vécu vingt-ans avec mes parents et nous n'avons jamais vraiment parlé de rien. Nous n'avons été que des taupes qui tâtonnaient dans le même tunnel sombre.
J'ai lu quelque part que dans le jeu du chat et de la souris, la seule façon de gagner pour la souris est de se jeter volontairement dans la gueule du chat. J'y pense souvent. La futilité nous regarde droit dans les yeux. Nous devrions simplement cesser de courir.
(...) chaque nuage qui passait est devenu un exercice se transformant en personnage : moine, magicien... et monstre. J'ai appris, là, que ce qu'on voit tous les jours est entièrement le fruit de notre imagination. J'ai découvert cette nuit-là que je pouvais modifier ce que j'avais sous les yeux. Que je pouvais, littéralement, écrire le ciel.
L"automne venu, notre classe de terminale allait se disperser dans cinquante directions différentes comme un sac de billes qui tombe à terre - mais pour l'instant nous n'avions pas encore heurté le sol.