J'ai compris un truc : on peut changer le cours des choses. On peut réparer ses erreurs. Recommencer sa vie s'il le faut.
Et puis il y a l'irrémédiable, ce qu'on perd à tout jamais. Certaines personnes. Des moments gâchés parce qu'on les a vécus à une époque où on se blindait contre les émotions, faute de savoir s'y prendre autrement.
On ne les voit pas venir, parfois on les ignore quand ils arrivent ; mais plus tard, quand on s'installe dans une certaine monotonie, on réalise à quel point ils étaient importants. On comprend enfin qui a compté dans nos vies, qui nous a fait tel qu'on est.
Il vaut mieux que les garçons ignorent leur pouvoir. Ils paniqueraient sûrement, ils feraient tout capoter.
C'est pourtant à eux qu'on se donne. Pas aux parents, ni aux profs, ni à son "avenir". Non, on se donne toujours à un garçon.
Et on finit par faire de longues promenades au crépuscule en pensant à eux et en se demandant dans quel état ils nous laisseront.
« Emploi du temps : réunion d'information médicale sur l'alcool et les drogues, puis séance de thérapie contre l'addiction à l'alcool et aux drogues, et ensuite groupe de parole sur la dépendance à l'alcool et aux drogues. Les sujets ne sont pas très variés. Mais c'est le but. Spring Meadow. Centre de désintoxication. » p.15
« Déjà, comment on peut sortir avec quelqu'un sans avoir bu ? Me demande Trish. / Franchement, ça me dépasse. […] / Je m'imagine à une fête en train de dire aux autres : ''Oh, non, merci, je ne bois jamais de bière'', poursuit Trish. La bonne blague. Je pourrai jamais. » p.28
Stewart fait partie du même monde que moi. Il est mon monde. Il est passé par où je suis passée. Il me comprend comme aucune autre personnes ne peut le faire, et ne le fera jamais..."
- Regarde-toi. T’es qu’un gros blaireau.
- Je ne suis pas un blaireau, je suis un geek, réplique Martin sans hésiter. Les blaireaux sont maladroits, c’est pathologique chez eux. Tandis que les geeks ont développé une connaissance approfondie de systèmes complexes.
A un moment une fille ivre morte entre en titubant et en beuglant. elle se jette sur quelqu'un pour lui mettre des coups de pied. Ses copains essaient de l’arrêter mais elle les cogne eux aussi. Le gérant du bar intervient et le traîne dehors de force. Je la montre à Martin en sirotant mon expresso.
- Tu la vois, elle?
- Ouais.
- C'est moi avant.
- A ton avis, d’où vient cette colère ?
Les yeux rivés sur l’ongle de mon pouce, je réponds :
- De mon cerveau malade ? De mon enfance difficile ? Ou peut-être qu’au fond, je suis juste mauvaise de nature ? Qu’est-ce que j’en sais moi ?
Elle note quelque chose dans son cahier. Je déteste quand elle fait ça.
- Tu te battais avec des garçons ? me demande-t-elle.
- Parfois.
- Qu’éprouvais-tu quand tu frappais quelqu’un, que tu essayais de le blesser ?
- Vous voulez la vérité ?
- Bien sûr.
- C’était bon.
- Décris-moi plus précisément ce que tu ressentais.
- C’était excitant. Ca me donnait une bonne poussée d’adrénaline.
- Alors, en quelque sorte, il s’agissait d’une autre drogue qui venait s’ajouter à la liste de celles que tu prenais déjà ?
Je hausse les épaules.
- J’imagine.
- Donc, en réalité, tu n’étais pas vraiment en colère contre ces gens ?
- Evidemment que si, j’étais en colère contre eux.
- Mais pas à cause de ce qu’ils avaient fait. C’était plutôt parce que tu avais besoin de cette montée d’adrénaline.
- Croyez-moi, en général, ils ne l’avaient pas volé.
Elle jette son cahier sur le bureau.
- Tu sais ce qu’on dit : quand on rencontre au moins trois cons dans la même journée, soit on n’a pas de chance, soit le con n’est pas celui qu’on pense. A ton avis, c’est possible ?
- Quoi ? Que ce soit moi, la conne ? Non ! Vous plaisantez ?
Elle me regarde fixement.
- Non. J’ai pas de chance, point barre.
Et ce n'est pas tout. Une sensation totalement nouvelle s'empare de moi : j'entrevois une timide lueur d'espoir. Peut-être que ma vie n'est pas foutue, en fin de compte. Peut-être qu'elle ne fait que commencer.
Ça nous prend une éternité mais le froid ne nous atteint plus. La pluie ne nous dérange pas. C'est comme si on venait d'entrer dans une réalité parallèle où plus rien ne compte, où plus personne n'existe. Nous sommes seuls au monde.