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Critique de andras


Un très beau livre dont la force croit au fil des pages et qui est resté malheureusement inachevé suite à la déportation d'Irène Némirosky dans un camp de concentration en juillet 42 où elle sera assassinée.
Pour ce livre, l'auteur prend explicitement comme modèle le Guerre et Paix de Tolstoï et je pense que si elle avait pu achever sa fresque de la France sous l'occupation allemande, la comparaison aurait tenu. La langue d'Irène Némirosky est remarquable et non moins remarquable est sa faculté de restituer les faits et gestes, les ambitions et les lâchetés de chacun au coeur de cette époque troublée. Son regard est parfois terrible et sans complaisance aucune même si elle ne cloue jamais personne au pilori (enfin, certains s'y clouent eux-mêmes malgré tout !). Au cours du récit son regard s'adoucit ("Dolce" est d'ailleurs le nom qu'elle a donné à sa 2eme et -hélas- dernière partie, alors que la première s'intitule "Tempête en Juin" et retrace la "débacle" de Juin 40) et à travers les yeux de Lucile (superbe personnage), les Allemands posent l'armure et redeviennent un temps humains.

La politique est quasiment absente de ce livre. A part quelques rares "Heil Hitler" proférés par les soldats allemands, il n'est jamais question du Fürher, et il n'y a que quelques allusions à Pétain et au régime de la collaboration. Encore plus étonnant de la part de celle qui sera déportée comme juive apatride, il n'est jamais fait allusion à l'antisémitisme ou aux lois anti-juives de l'"Etat français". Mais cette absence de perspective globale lui permet de mieux scruter les détails et je n'avais rien lu d'aussi "vrai" (je veux dire non faussé par quelque idéologie plaquée sur les faits) sur cette époque que ce "roman-journal".

Le roman s'achève avec le départ des allemands du petit village qu'ils occupaient et dont on suivait les évènements à travers les yeux de quelques habitants. L'éditeur Albin Michel nous livre ensuite deux types de documents très émouvants : le carnet de notes de l'écrivaine où elle jette des éléments, des plans, des idées pour le roman en cours; une correspondance où l'on retrouve quelques échanges entre Irène et son éditeur et surtout - terrible - les lettres que son mari Michel Epstein envoie à différents amis à la suite le l'arrestation d'Irene et son internement à Pithiviers avant son départ pour les camps de concentration en Pologne. On y lit toute le désarroi et l'incrédulité de ces juifs sur lesquels la main de fer hitlérienne s'abat soudain sans pitié. Après quelques jours passés à tenter de libérer sa femme, Michel Epstein sera à son tour arrêté et déporté et gazé à Auschwitz. Leur 2 filles seront sauvées grâce à une amie et elles garderont toujours avec elles le manuscrit de "Suite française" qui a pu ainsi être édité, longtemps après la disparition tragique de son auteur.

A l'aulne de cette tragédie, on pourrait juger naïve et candide la narration de Suite française. Au contraire, c'est de ce regard à la fois acéré et nuancé dont nous avons besoin pour mieux comprendre le monde et lutter contre toutes les simplifications qui conduisent aux pogroms, aux massacres, aux camps de concentrations ou aux goulags.
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