AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Cyril_lect


L'histoire : Dracula a gagné, Bram Stocker s'est trompé dans ce que nous croyons être un roman. L'échec de van Helsing lui a valu d'avoir la tête sur une pique des grilles de Buckingham... Car sitôt les héros de Stocker défaits, Vlad Tepes a séduit la Reine Victoria qui en a fait son prince consort.
L'empire des non-morts se confond progressivement avec le Commonwealth. La société britannique, en cette année 1888 se transforme. Devenir un non-mort est du dernier chic et les servantes dégrafent leurs corsages pour rassasier les invités aux longs crocs, des projets visent désormais à obliger les sangs-chauds à ouvrir les magasins la nuit seulement... Les gardes Carpates du Prince font subir les pires avanies aux sangs chauds, l'empalement sans autre forme de procès a lieu à chaque coin de rue... Pendant ce temps, un tueur rode dans le brouillard londonien. Il massacre les prostituées vampires avec un scalpel d'argent. Un tueur, hanté par un souvenir, un tueur que l'on nomme très vite Jack l'éventreur...

Les vampires ce n'est pas mon truc, la bit-lit encore moins et je n'aurai jamais acheté ce livre si mon copain B ne me l'avait offert.

Quelle heureuse surprise !

Anno Dracula est une uchronie, une uchronie littéraire qui nous fait découvrir un monde divergent, à partir du Dracula de Bram Stoker. Et c'est fascinant ! Bien loin des romans vampiriques qui narrent la lutte contre les suceurs de sangs, Anno Dracula fait découvrir une société où le voile de la nuit recouvre progressivement l'humanité. Une société où les humains sont en passe d'être considérés au mieux comme des citoyens de seconde zone, au pire comme des repas sur pieds...
Une société où chacun doit faire ses choix : rester humain, mortel, et se voir exclu progressivement de toutes fonctions, ou devenir un non-mort, quasi-immortel et s'assurer une place dans la nouvelle société. Un choix dramatique qui divise la société, les familles et les individus. Une société où, pourtant, tentent de cohabiter vampires et sangs-chauds comme Charles de Beauregard, agent du Diogene's club et Geneviève Dieudonné, vampire historique. Ils tentent de découvrir qui est ce tueur surgi du brouillard et qui ne s'acharne que sur les prostituées vampires, celles qui vendent leurs charmes contre une gorgée de sang.
Le lecteur sait dès les premières pages qui est Jack et ce n'est pas résolution de l'enquête qui importe. Non, c'est bien la confrontation de tous ces personnages aux trajectoires contradictoires, aux tensions subtiles, aux amitiés improbables et surprenantes, et même à la possibilité de l'amour entre vampires et humains qui est passionnante à découvrir.
Le vampire est une figure puissamment érotique : les crocs et la succion du sang sont une métaphore transparente de la sexualité, par déplacement symbolique, de l'échange d'autres fluides corporels... (le navetissime Twilight est en ce sens une métaphore inverse, un éloge de la chasteté). Si je peux parfaitement le comprendre d'un point de vue intellectuel, la sensualité du goût du sang et des autres attributs vampiriques me restent étranger. Car, hormis le Dracula de Coppola, avec son esthétique et une vision du vampire qui l'est devenu par amour, peu de productions vampiriques y arrivent à mon sens. Elles le disent, mais ne le font pas éprouver. Or Kim Newman, par la justesse des situations qu'il met en place, par l'interaction entre les personnages permet de nous faire imaginer, voire ressentir, cette sensualité, cet érotisme. Bref, par son style et ce n'est pas la moindre de ses qualités.
Par une langue évocatrice, il rend vivant ce Londres nouvelle manière entre Grande Bretagne éternelle, fog et retenue des sentiments.
Anno Dracula est surtout l'oeuvre d'un passionné de la chose vampirique. Kim Newman entrecroise subtilement les références littéraires et cinématographiques. Vampires mais aussi héros de l'époque victorienne, tous défilent pour un simple caméo ou pour un rôle plus important : Nosferatu, Jekill et Hyde, Moreau... ils sont tous là et seul le plus cultivé les reconnaitra (le béotien comme moi utilisera avec plaisir et admiration le chapitre des annotations qui explique le pourquoi du comment de tel ou tel personnage ou scène (on est pas loin, toutes proportions gardées, des explications de Françoise Chandernagord de la véracité ou de la licence créative de tous les éléments dans l'Allée du Roi). À coté des annotations, une fin divergente est proposée, le scénario du film qui n'a jamais eu lieu, des articles etc., complètent le roman comme autant de bonus.

Quelques petits défauts cependant. La scène d'exposition est un peu complexe et ne facilite pas forcément l'entrée dans l'histoire. La fin, elle, est vraiment bâclée afin de visiblement laisser la porte ouverte à une éventuelle suite. C'est un peu dommage, mais il ne faut pas bouder son plaisir.

Enfin Bragelonne a fait un très beau travail d'édition : des compléments pas tous indispensables mais intéressants, mais surtout une très belle couverture (et pas de coquilles vues) font d'Anno Dracula une très très bonne surprise dans un genre éditorial pourtant bien balisé.
Commenter  J’apprécie          40



Ont apprécié cette critique (4)voir plus




{* *}