- [...] Je suppose que les humains sont les seuls créatures qui protègent ainsi tout ce qu’elles possèdent.
- Tu te trompes.
- Les animaux ne dressent pas de barrière.
- Mais si. Au printemps, un rouge-gorge femelle ne volera vers un mâle que s’il possède un territoire dans les bois. Il faut qu’il le protège.
- Tiens, je ne savais pas ça.
- Sais-tu ce que dit le rouge-gorge quand tu l’entends chanter ? « Cet arbre est mon domaine. Défense d’approcher. » Ce chant est sa barrière.
- Ça alors !
Mr. Tanner sortit une petite boule soyeuse de sous sa veste : un petit cochon tout blanc, avec un groin et des oreilles roses. Il y avait même une mince raie rose dans la fourche de ses pattes.
- Vous voulez dire que ce cochon est à moi ?
- A toi, mon garçon. Et c’est bien peu de chose pour le service que tu m’as rendu.
- Mon Dieu, mon Dieu ! Merci, oh merci, Mr. Tanner.
Je le regardais de tous mes yeux. Il était magnifique, mon petit cochon, bien plus beau que Bavette et que ses deux veaux ; plus beau que Salomon, notre bœuf, que Daisy, notre vache laitière. Plus beau que tous les chiens, chats, poulets ou poissons du monde. On aurait dit un bonbon rose et blanc.
Nous remplacions un poteau de la clôture qui séparait le terrain de Mr. Tanner du nôtre.
- C’est drôle qu’il y ait des clôtures, tu ne trouves pas ? dis-je soudain.
- Pourquoi ?
- Eh bien, vous êtes amis, Mr. Tanner et toi. Voisins et tout. Pourtant, nous maintenons cette barrière comme si c’était la guerre. [...]
- C’est une guerre pacifique. Tel que je connais Benjamin Tanner, il se fera plus de mauvais sang que moi si ses vaches viennent brouter mon maïs en herbe. Il sera plus embêté que si c’était le contraire.
- C’est un bon voisin, papa.
- Et, comme moi, il veut une clôture entre nous. Il sait bien qu’une clôture unit les hommes et ne les sépare pas.
- Je n’avais jamais vu les choses de cette façon.
- Il est temps de le faire.