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Critique de berni_29


Dans Seules les bêtes, écrit par Colin Niel, le début de l'histoire ressemble à une chronique de faits divers presque ordinaire. Une femme, Evelyne Ducat, a disparu, on retrouve sa voiture abandonnée, en pleine campagne, au départ d'un sentier de randonnée. Tiens, me direz-vous, encore un polar. Ça y ressemble en effet de très près, et pourtant j'ai trouvé ce roman totalement atypique et bien éloigné des codes du genre.
Nous sommes dans une région de basse montagne, quelque part dans un des causses du Massif Central. Nous n'en saurons pas plus sur le lieu.
Cinq personnages en quête de sens, vont intervenir, l'un après l'autre et construire le récit comme un puzzle, chacun apportant son histoire, sa musique, sa petite pierre à l'édifice, ses doutes et donc forcément les nôtres aussi au fur et à mesure que le récit se déroule, se noue et se dénoue.
C'est une polyphonie à cinq voix qui se répondent. Ce sont des voix différentes, sans doute dissonantes et au bout du récit qui nous mène presque au bord d'un abime, non plus en plein causse mais vers un tout autre vertige, celui au plus profond de l'âme humaine, nous entendons en effet une chorale, c'est-à-dire quelque chose d'harmonieux, même si la douleur s'y mêle.
Les histoires se croisent, c'est comme un écheveau à démêler entre les pages qui défilent sous nos doigts ahuris.
Ici donc ce sont les causses, une France rurale, oubliée, dont on parle de temps en temps pour dire la misère sociale, les faillites des exploitations agricoles, la dépression, l'alcoolisme, les suicides des paysans. On en parle de temps en temps au hasard d'un reportage dans un magazine, à la radio ou à la télévision, l'investigation d'un journaliste, on s'émeut ; pour beaucoup d'entre nous, nous venons de ce milieu rural par le biais de nos aïeux proches ou lointains. Ici par chez moi en Bretagne, dans certains lieux, c'est un lien encore très fort avec le passé de chacun d'entre nous.
On en parle, on s'émeut et puis on oublie...
C'est habilement construit, on comprend au fur et à mesure du récit quelques petits détails dont on n'y avait pas prêté attention au départ, comme l'écho d'une pierre qu'on a jeté au fond d'un puits, rien que pour voir, rien que pour entendre et qui revient à la surface de l'onde longtemps après, tranquillement, inexorablement.
Ce sont des plateaux avec quelques bêtes qui pâturent, le paysage est à la fois rude et sublime dans son immensité. Les quelques fermes qui y subsistent sont occupées par des hommes qui y vivent le plus souvent seuls ou bien parfois il y a encore la présence d'un parent, une mère le plus souvent lorsqu'il n'y a plus qu'un seul parent. Allez savoir pourquoi...
Bien sûr il y a l'intrigue, mais on l'oublierait presque tant ses cinq voix sont désespérées. Elles se croisent, s'évitent au début et puis finissent par faire écho l'une à l'autre, s'entrechoquer. Ici il est question d'amour, de solitude, d'isolement, de fragilité, de dépression, de désespoir... Le ciel paraît brusquement bien lourd pour porter les rêves abîmés de celles et ceux qui tendent les bras une dernière fois vers cette clarté éphémère. Ce vertige est au fond de chaque personnage et les fait vaciller à chaque instant plus près encore du vide sidéral.
Colin Niel ne ménage pas notre sérénité. Nous sommes tout le temps happé par ce récit haletant et inventif.
La fin est déconcertante, poignante aussi, nous ramène à la misère sociale.
C'est le premier livre que je lis de Colin Niel. Je l'ai découvert à la faveur de la sélection du prix Cezam 2018. J'aime beaucoup ce prix car il met en lumière de petites maisons d'édition qui ne sont pas toujours médiatisées et c'est très bien ainsi, mais elles ont justement besoin de nos mains, de nos yeux pour vivre, et de nos mots pour transmettre à d'autres lecteurs, inconnus ou fraternels, l'envie de découvrir quelques pépites merveilleuses et insolites.
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