AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Kirzy


Cela fait très très très longtemps que je n'avais pas lu un polar de ce calibre, digne d'un James Ellroy des grandes heures ( L.A. Confidential ou le Dahlia noir ) par l'envergure, la noirceur et l'engagement . Un choc, j'ai refermé le roman pantoise et chancelante de bonheur.

Pour un bon polar, il faut une ambiance marquante. Tout est atmosphérique et intense dans ce polar. La reconstitution du Soho des années 1930 est très impressionnante, loin du Londres fantasmé. Ici la ville est laide et belle à la fois sous la plume soignée et volubile de Dominic Nolan qui promène sa caméra de mots, totalement immersive, de rades mal famés en night clubs et ses rues crades. Et que dire du Londres du Blitz, lorsque les Allemands bombardaient non stop la capitale et que le tueur profitait de la situation pour dissimuler ses forfaits sous les gravats des immeubles détruits.

« Tel était son Londres.
Des immeubles étroits, liés entre eux comme les piquets d'une palissade, des couloirs miteux et des caves humides dont la saleté prouvait que les vieilles pierres de l'ancienne cité grouillaient encore de vie.
Défoncer des portes.
Fracasser des crânes.
Coffrer des gangs.
Depuis toujours persuadé d'être destiné à autre chose, mais incapable d'imaginer quoi, Geats traitait la vie comme une une série interminable d'altercations qu'il entreprenait avec un mépris insouciant pour son sort ou celui des autres, en attendant qu'un jour se révèle son but ultime. »

Il faut également un bon personnage. Et Leon Geats, c'est du lourd. Sergent à la Brigade des moeurs & des Night Clubs, flic insoumis et sauvage qui règne sur Soho qu'il connait comme sa poche, on le sent capable de basculer d'un côté de la loi comme de l'autre. Et il n'est pas seul à nous accompagner sur les six-cent pages de Vine Street. Avec lui, deux collègues de la MET (police métropolitaine de Londres ) : Mark Cassar de la Brigade volante et Billie, magnifique personnage qui incarne toutes les figures de la femme ( amie, amante, épouse, mère ). A eux trois, ils vont enquêter obsessionnellement un tueur en série insaisissable qui viole, mutile et assassine de jeunes prostituées, il est surnommé le Brigadier.

Et il faut une intrigue mémorable. Celle-ci est d'une rare sophistication. Elle s'étalonne sur plusieurs décennies, de 1935 aux années 1960 avec des ramifications jusqu'aux années 2000. On y croise des gangs londoniens, des flics ripoux, des putes et des macs, des revendeurs de came, des tenancières de boîtes de nuit, des chemises noires, des espions aussi.

C'est dense, c'est brutal, c'est sombre, c'est chargé de rebondissements complexes, tous à plusieurs niveaux. On a souvent l'impression de s'éloigner de l'intrigue principale, à savoir la traque du Brigadier, mais chaque sinuosité semblant hors-sujet la nourrit. Jusqu'au génial et imprévisible twist qui n'est pas là pour épater la galerie mais faire totalement sens. Et émeut.

En fait, le coeur battant du récit n'est pas la traque en elle-même, mais le trio des personnages principaux et l'évolution de leur relations racontée avec une rare profondeur psychologique, tous imparfaits, forcément plein de secrets et de contradictions. le lecteur est témoin de la manière dont la vie les façonne, les corrompt au point de voir leur intégrité résister ou pas. Par moment, ils s'égarent, puis retrouvent leur but ou succombent à la vie qui court, tout simplement. Au final, c'est bien plus qu'un polar que nous sert Dominic Nolan mais une puissante réflexion qui explore les questions de moralité et de jugement dans un monde où tout est résolument gris et crépusculaire.

« Il savait les choses indicibles qui étranglaient le coeur.
Savait que la lie de toute l'horreur était la même pour tous, et que nous l'appelions le monde. Qu'elle entrainait toute sa vie jusqu'au dernier rivage.
Cela vint à lui telles les ténèbres intérieures qui envahissaient sa vision, la dévorant depuis le centre, gueule béante qui croissait sans cesse, pressant le monde visible jusqu'à ses marges, jusqu'à ce qu'il comprenne que cette opacité était en réalité un vaste néant.
Le néant d'où il venait.
Le néant auquel toute vie retournait. »

Un polar inspiré à l'énergie captivante, chef d'oeuvre du genre.
Commenter  J’apprécie          14526



Ont apprécié cette critique (143)voir plus




{* *}