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Critique de Alzie


Alzie
02 novembre 2018
Ce catalogue d'exposition consacré à un peintre du XIXe siècle plutôt méconnu évoque à lui seul un pays tout entier devenu sa scène d'élection artistique : l'Algérie. Sur la couverture, Laghouat ou El-Aghouat aux portes du grand désert. Si les mots d'Eugène Fromentin ("Un Eté dans le Sahara") restent un des moyens littéraires de connaître les chemins qui y mènent, les images de Gustave Guillaumet, qui partageait avec ce prédécesseur le même goût pour l'écriture, en fixent peut être mieux les visions d'immensités tragiques (Sahara, le désert", 1868). Les deux artistes bien que différents habitent ensemble avec bonheur ces pages instructives et magnifiques car, à vingt ans d'intervalle ils ont marché en direction de Laghouat dont le ciel et la lumière les ont durablement hantés. Chacun à sa façon a représenté Laghouat. Le tableau de Fromentin (Salon de 1859) se fait l'écho elliptique d'un massacre perpétré par l'armée de conquête coloniale du second empire, il en parle dans son livre, celui de Guillaumet (Salon de 1879) montre plutôt un "ksar" pacifié du début de la troisième république. Il n'y a pas à choisir entre l'un ou l'autre, la beauté des hauts murs en toub de Laghouat invite, dans les deux cas, à entrer en terres d'Algéries hors des sentiers battus. Pénétrer l'univers de ces deux peintres écrivains voyageurs, qui regardèrent aussi Delacroix, c'est s'approprier le meilleur de ce que la peinture orientaliste a légué : un lointain poétique inaccessible qui nourrit encore aujourd'hui l'imaginaire des rêveurs sédentaires impénitents que nous demeurons en tournant les pages de tels livres.

Trois voyages pour Fromentin, dix ou onze, selon les sources, pour Guillaumet qui découvre l'Algérie sur un coup de tête et la parcourt en tous sens, entre 1862 et 1884, en voyages successifs et réguliers, en séjours aux durées et aux formes variables (sous la tente, en bivouac, chez l'habitant, sous protection militaire requise ou sollicitée), avec sa compagne. Véritable itinérance artistique, éloge de l'oued, du ksar, du douar, des oasis et des traditions sahariennes ancestrales que cet orientaliste post-romantique "pas comme les autres" laisse, après avoir renoncé à la peinture d'histoire. Des oeuvres éloquentes composées de paysages, scènes de genre, portraits, évoluant vers de plus secrets clairs-obscurs où la figure féminine au travail est magnifiée à la fin (dernière partie de son oeuvre). De Constantine à Oran, de la côte et d'Alger aux contreforts de l'Atlas, de Biskra à El-Kantara ; Bou-Saâda, les Aurès, la Kabylie... "Passant et passeur", témoin privilégié et parfois ambivalent des poussées de la conquête et de la pacification, redécouvert aujourd'hui (Christine Peltre ; Malika Bouabdellah Dorbani) ; sa dernière rétrospective remontait à 1889 ! Ecrivain, à partir de 1879 jusqu'à sa mort (il se suicide en 1887), il donne ses Tableaux/chroniques à un journal proche des milieux républicains : "La Nouvelle Revue". Ses sujets de prédilection font l'éloge d'une géographie personnelle humaine sensible que sa singularité créatrice élève à quelque chose d'universel mettant son art de peindre à l'abri du pittoresque et du cliché que le développement de la photographie à la suite de la peinture commençait à largement diffuser.

Outre la célébration croisée de voyages écrits et peints qui m'a particulièrement touchée (Barbara Wright et François Pouillon) ce catalogue passionnant se distingue par la pluralité de ses contributions françaises ou algériennes qui agissent comme une vaste chambre d'échos partagés où la parole est aussi donnée à des artistes contemporains. Trois parties principales et de nombreuses notices d'où fusent de multiples résonances, politiques, esthétiques, iconographiques ou biographiques, qui peuvent être lues séparément très librement. Elles illustrent un renouveau du regard porté depuis quelques années, de part et d'autre de la Mediterranée, sur la peinture orientaliste et la pratique du voyage de peintre en Algérie sur fond de conquête et de domination coloniale après 1830. Une exposition qui en rappelle d'ailleurs une précédente avec l'étude qu'elle avait suscité "De Delacroix à Renoir : l'Algérie des peintres" (IMA, 2003). "L'Algérie de Guillaumet" était la vraie bonne surprise de l'été au musée des beaux-arts de la Rochelle (ville native par ailleurs de Fromentin...). Pour qui l'aurait manquée la possibilité d'apprécier l'oeuvre, en ses multiples dimensions et facettes - croquis, dessins et études, pastels, peintures -, est aussi offerte à Limoges cet automne puis à Roubaix, début 2019. Exposition motivée par les récents travaux de doctorat sur Guillaumet de Marie Gautheron (2015) grâce à qui elle a pu être montée et qui contribue de manière salutaire et éclatante à réévaluer et rendre justice à un peintre oublié.
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