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Critique de maevedefrance


Traduit par Nathalie Guillaume

Emma a 18 ans et vit en Irlande dans la petite ville de Ballinatoom. L'histoire commence un jour de canicule ! Emma vit chez ses parents avec son frère aîné, Bryan. Comme toutes les ados, elle traîne toujours avec sa bande de copines, où elle parle fringues, make up et garçons. Emma est la fille populaire de son lycée, elle a un physique parfait et elle est brillante élève. Seulement, on sait bien que la perfection, ça agace. Emma est consciente des regards qu'elle suscite à son passage et elle en joue.

Un jour, elle participe à une soirée entre copains et copines, comme elle a l'habitude de le faire. Sauf qu'elle ignore que c'est la soirée qui va faire basculer sa vie de l'autre côté du miroir, du côté de l'enfer et du sadisme, de la cruauté gratuite qui s'ajoute à la cruauté de l'acte qu'elle a subi, à savoir non pas un viol, mais plusieurs, lors de cette même soirée. de la part d'inconnus ? Non, pas du tout. de la part de ceux qu'elle fréquente depuis l'enfance, des ados de son âge. Les réseaux sociaux, le machisme, la recherche de l'audience médiatique et la connerie humaine font le reste.

Un roman sur le viol. Ce n'est certes pas le premier. C'est un sujet délicat à aborder. L'écueil a éviter est celui du roman qui est perçu comme faisant dans le sensationnel, dans l'émotion pure.
Louise O'Neill, je vous le dis tout de suite, évite tout à fait cet écueil et vous plonge dans l'enfer de la tête d'Emma et du comportement incompréhensible de son entourage, de ses bourreaux et de la société.
La fin m'a fait hurler mais Louise O'Neill explique pourquoi elle a décidé de finir son histoire ainsi. La faire se terminer autrement lui aurait paru pas très crédible.

Emma fait partie de la digital native, cette génération née avec Internet et smartphone. L'auteure montre des ados qui passent leur temps à se liker sur Facebook, à poster des commentaires, à faire des photos, des vidéos. Lors de la tragique soirée, des photos vont être prises et postées sans vergogne sur les réseaux sociaux, avec tag. Une page dédiée spécialement à Emma va être créée, déversoir de haine, d'insultes, de propos calomnieux. On va la harceler, lui envoyer des textos et mails en ravales pour l'insulter en permanence. Elle devient la menteuse, la pétasse, la traînée, la pute, la salope qui l'a bien cherché, la fille qui porte des robes tellement courtes qu'on voit sa culotte... Et comme si ça ne suffisait pas, une célèbre émission de TV irlandaise s'empare de son cas. Un groupe de soutien se crée aussi sur les réseaux. Elle devient La Fille de Ballinatoom. Désincarnée d'elle-même, Emma voudrait juste qu'on lui fiche la paix.
"Je me réveille en pleine nuit. Je me rappelle. Je suis la chair rose. Je suis les jambes écartées. Toutes les photos, les photos et les photos. J'ouvre mon ordinateur. Je lis les articles du Jezebel, xoJane, le Journal, le Guardian et le New Statesman. Puis je fais défiler l'écran jusqu'aux commentaires.
Elle est allée dans cette chambre.
Elle a trop bu.
Elle a pris des drogues.
Personne d'autres ne sait ce qui s'est passé dans cette pièce à part ceux qui s'y trouvaient.
Elle a dit à la police qu'elle faisait juste semblant de dormir.
Elle est allée à une autre soirée chez Dylan Walsh un mois après ce qui s'est produit. Est-ce qu'elle aurait fait ça si on l'avait vraiment violée ?"

Emma porte plainte. Cependant on l'informe qu'en "vertu de la loi irlandaise, [elle] n'a pas droit à la représentation légale séparée. (...) le directeur des poursuites pénales amènera les accusés en justices et les poursuivra au nom de l'Etat irlandais. Pas au nom d'Emma". Et sachez que "le taux de condamnation est terriblement bas" en Irlande. Il y a bien un centre d'aide aux victimes de viol, mais on ne lui en dira pas trop.

"Je suis remplie de cette honte, et elle m'accable, m'enchaîne les pieds", explique Emma. Ce poids de la culpabilité comme une violence inversée : elle n'est coupable de rien (si ce n'est d'avoir bu et pris de la drogue, comme ses amis), mais tout le monde va lui faire sentir qu'elle était habillée trop provocant, comme si elle une femme n'avait pas le droit de disposer de son corps. Eh oui ! Qui n'a jamais entendu sa dans sa vie de femme : t'es habillée trop truc ou trop machin, fais attention, tu risques des ennuis... C'est tellement ancré dans la tête de tout le monde que beaucoup de femmes se culpabilisent même d'être trop belles !

Louise O'Neill emploie parfois un vocabulaire cru, à la hauteur de la violence et du traumatisme subis par Emma. La force de l'auteure est de vraiment arriver à vous plonger dans l'état d'esprit d'Emma, dans sa souffrance et ses contradictions qui font qu'elle va finir par faire le mauvais choix, sous la pression de la société qui ne rend pas justice aux femmes. J'ai eu envie de claquer ses parents, en plus de tous les autres ! Savoir qu'il y a en gros 1% de condamnation qui aboutissent en Irlande parce que les plaintes restent très faibles me fait m'insurger ! Allez les Irlandaises, vous venez de voter pour le droit à l'avortement, le droit des femmes à disposer d'elle-même, eh bien la prochaine étape sera de tenir la dragée haute à tous ceux qui abusent de vous. La culture du macho, ça suffit ! Et la France peut vous emboîter le pas car on n'a rien à vous envier.

"On nous a toujours répété que celui qui conduit, c'est celui qui ne boit pas. L'alcool au volant, c'est dangereux. L'alcool au volant tue des gens, gâche des vies.
Il y a d'autres manières de gâcher des vies. On ne nous a jamais mis en garde contre celles-là."

A l'heure du #metoo, voici un roman catalogué un peu trop vite young adult qui est à mettre entre toutes les mains.
"Notre société ne semble peut-être pas soutenir les violences sexuelles, mais vous n'avez pas besoin de creuser beaucoup sous la surface pour apercevoir combien nous banalisons le viol et les agressions sexuelles. Celles-ci (qui vont des attouchements sexuels au viol) sont tellement courantes que nous les considérons presque comme inévitables pour les femmes. Nous assommons nos filles de précautions pour éviter de se faire violer, comme s'il s'agissait d'une triste fatalité, comme si c'était un combat perdu d'avance" explique Louise O'Neill. En discutant avec des femmes, seulement 1 sur 20 a signalé les agressions dont elle été victime à la police de peur de ne pas être crues. Comme dit Louise O'Neill "Je n'ai pas de réponse à ça" mais "je ne veux plus vivre dans un monde comme celui-ci".

"Nous devons parler sans relâche jusqu'à ce que toutes les Emma du monde se sentent soutenues et comprises. Jusqu'à ce qu'elles aient la certitude qu'on les croient", conclut l'auteure dans la post-face de son livre. Je ne peux qu'être d'accord.

Je vous conseille donc fortement ce roman irlandais qui restera ancré dans votre mémoire pendant un moment, je pense. C'est le deuxième de l'auteure, est un best seller en Irlande où il obtenu plusieurs prix.
Quant à Louise O'Neill, elle est née en 1985 dans le comté de Cork.

Merci aux éditions Stéphane Marsan de faire connaître Louise O'Neill en France !
Lien : http://milleetunelecturesdem..
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