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Critique de horline


Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants. le ton est donné dés le titre. Ici pas de place pour une évocation sensible du monde, ni pour la noblesse des sentiments. On est au coeur de la haine et la violence dans un Japon en pleine bourrasque, l'auteur ayant choisi pour cadre le Japon de la seconde guerre mondiale.


A quelques mois de la capitulation, sous le feu des bombardements ennemis, la population des villes se réfugie dans les campagnes. Parmi elle, des enfants d'une maison de correction dont le narrateur et son petit frère. Echoués dans cette institution parfois pour des faits étrangers à la délinquance, ils prennent la route d'un village isolé, perdu au milieu d'une forêt dense sur le flanc de la montagne, accessible uniquement par un wagonnet "sur des rails qui enjambaient la vallée", escortés de leur éducateur et des regards méprisants des paysans croisés sur leur chemin. Ils sont sales, ont des manières assez primaires et peu d'instruction. On se dit que la rencontre entre ces jeunes criminels de la ville et les villageois chargés de les accueillir que l'on imagine paisibles s'annonce rude.
Rude, glaciale, hostile, elle le fut, mais pour les enfants, qui seront enfermés dans un hangar lorsqu'ils ne seront pas chargés d'accomplir des tâches ingrates à la place des paysans. Une maladie mortelle s'insinue au sein du village, l'hostilité se transforme en haine fiévreuse… et le village en un piège qui se referme douloureusement sur les réfugiés.


Du monde extérieur, ces jeunes n'en découvrent que sa face la plus abjecte. Cynisme, barbarie, humiliation, ils sont les témoins de ce que l'auteur appelle sans cesse une "époque de folie" car " tel un interminable déluge, la guerre inondait les plis des sentiments humains, les moindres recoins des corps". Abandonnant toute humanité pour exorciser leurs peurs et les menaces, les paysans se montrent in fine bien plus rustres et féroces que les jeunes délinquants traités pas mieux que des bêtes. Pour le jeune narrateur, "il aurait mieux valu qu'ils soient des êtres sans volonté ni regard, comme une pierre, une fleur, un arbre, des êtres simplement regardés".
Un roman donc sombre, hanté par la mort, mais Kenzaburo Ôé maîtrise l'art de transformer cette réalité impitoyable et écoeurante en un roman magnifique, une véritable quête, formatrice, à laquelle les jeunes accèdent en faisant la paix avec leurs démons d'enfants. Car derrière leurs mauvaises manières et leur frustration contenue, il y a en embuscade de la solidarité, du courage profond, du désir de sincérité. Surtout chez le narrateur, personnage lumineux de ce roman prêt à se lever contre l'injustice. Et derrière l'écrivain il y a en embuscade l'homme d'empathie capable de mettre de la beauté là où il n'y en a pas. Une plume élégante, un rythme infiniment précis, une violence contenue font de cet auteur un magicien des émotions.
Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants fait partie de ces romans qui interpellent le lecteur par l'émotion vive qu'ils suscitent.
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